Délibérément moins formel et moins esthète que ses films précédents - un triptyque témoignant d’une Europe traumatisée -, Breaking the Waves est parcouru d’une veine mélodramatique traitée de manière novatrice. On n’en attendait pas moins de Lars von Trier, créateur de formes et manipulateur d’images. Poursuivant ses expérimentations sur la technique, il relève ici un nouveau défi, chargeant le chef-opérateur de Wim Wenders ou de Jim Jarmusch de signer l’ambiance visuelle : colorer de manière singulière en transférant le film sur vidéo, suivre dans la moindre des directions chacun des comédiens. Caméra à l’épaule, Robby Müller les filme au plus près, jouant de l’effet de la proximité sur grand écran.

Entièrement porté par la fougue de ses interprètes, le dernier film du Danois secoue autant que se brisent les vagues sur les côtes austères de l’île de Skyop, en Écosse. Révélée par le cinéaste, Emily Watson est une Bess magnifique, femme-enfant innocente, amoureuse de Jan, rousse brûlante, qui, comme dit son médecin, "a attrapé, une maladie rare et grave : la bonté".

Rien ne semblait pouvoir atteindre le couple uni, jusqu’à ce que Jan (Stellan Skarsgard), reparti sur sa plate-forme pétrolière, ne revienne, paralysé à vie.

Lars von Trier n’a pas oublié son maître, Carl Theodor Dreyer, l’auteur de Ordet (1955). Les miracles existent, pourvu que l’on croie assez fort. Si la foi de Bess lui donne sa force, Jan "obéit à une sorte d’évangile de l’amour", pour reprendre une formule du maître.

Breaking the Waves se veut, selon son auteur, "un mélodrame érotique, qui combine le sexe et la religion". Il envoûte et dérange aussi. Une nouvelle fois, Lars von Trier force, par ses images, la réflexion.

Nadine Guérin
Jeune Cinéma n°238, été 1996

Breaking the Waves. Réal : Lars von Trier ; sc : L.vT. & Peter Asmussen ; ph : Robby Müller ; mont : Anders Refn ; mu : Joachim Holbek. Int : Emily Watson, Stellan Skarsgard, Karin Cartlidge, Jean-Marc Barr, Adrian Rawlins (Danemark-France-Pays-Bas-Norvège-Islande, 1996, 159 mn).