Découvert en décembre 2015 au Festival d’Athènes où il fit sensation (1), ce film de John Crowley, inspiré du roman de Colm Tóibín, tombe à pic, car il traite de l’immigration des Irlandais à Brooklyn dans les années cinquante. Amanda Posey, une des deux productrices du film, l’explique en ces termes : " Brooklyn raconte non seulement l’histoire d’une immigrante qui quitte l’Irlande pour l’Amérique, mais également le combat qu’elle doit mener pour devenir celle qu’elle veut être. C’est l’histoire d’une femme en quête d’identité qui fait des choix à une époque où les alternatives qui s’offraient aux femmes étaient assez limitées."

Et Finola Dwyer, l’autre productrice, ajoute : "Il s’agit d’une histoire universelle sur la douleur de l’exil. Il n’est pas nécessaire d’habiter à des milliers de kilomètres de l’endroit où l’on a grandi pour ressentir ce déchirement. Nous avons tous laissé des lieux et des êtres derrière nous". Brooklyn bouleverse, parce que c’est un film profondément sensible, et parce que le terme d’exil parle à chacun d’entre nous, y compris ceux qui ne l’ont pas directement connu. Le premier charme du film vient sans doute de l’énorme travail de reconstitution, qu’il s’agisse des décors de François Séguin, des costumes de Odile Dicks-Mireaux, sans oublier la musique de Michael Brook, discrète mais efficace. L’ensemble fait revivre sous nos yeux le New York des années 50, en opposant la nouvelle vie des immigrants dans ce fascinant pays d’accueil - dont le parangon semble être Singin’ in the Rain, (2) évoqué dans le film -, et l’Irlande campagnarde où les gens vivent en vase clos au milieu des ragots.

Mais la reconstitution ne serait rien sans les intentions du romancier, fidèlement adaptées par le scénariste Nick Hornby, qui déclare : "La manière dont Colm Tóibín décrit la souffrance de vouloir se trouver à deux endroits en même temps est déchirante et se prête particulièrement bien au cinéma. Si on aime Orgueil et préjugés, (3), on aimera Brooklyn parce qu’Eilis est confrontée au même dilemme intemporel que les personnages du roman de Jane Austen : elle doit choisir entre deux jeunes hommes très différents".

Pour interpréter ces personnages, il fallait des acteurs à la fois modestes, authentiques et puissants. En premier lieu, Saoirse Ronan qui donne au personnage d’Eilis une force à la fois discrète et puissante, et qui parvient à incarner parfaitement la jeune fille déterminée qui saura imposer ses volontés au monde et à sa famille, dans la douceur.

Pour incarner Tony son mari, jeune plombier d’origine italienne, plein d’humour et de fantaisie, Emory Cohen - découvert dans le rôle d’un adolescent dans The Place Beyond the Pines de Derek Cianfrance (2012) - impose son charme et sa beauté juvénile. Enfin, l’amoureux transi irlandais d’Eilis, Jim, est interprété par Domhnall Gleeson, que l’on voit beaucoup en ce moment, du dernier Star Wars (4) au Revenant de Alejandro Iñárritu (5).
Brooklyn est un film à la fois captivant, profond et émouvant qui permet de mieux comprendre comment on peut s’affranchir des frontières et des conventions sociales.

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°371-372, mars 2016

1. Brooklyn a été sélectionné dans plus de 150 festivals du monde anglophone et a été nommé aux Oscars 2016 (Meilleur Film, Meilleure actrice dans un premier rôle, et Meilleur scénario).

2. Chantons sous la pluie (Singin’ in the Rain) de Stanley Donen & Gene Kelly (1952) est sorti en Irlande en janvier 1953.

3. Le roman de Jane Austen (1813), Orgueil et Préjugés (Pride & Prejudice) a a fait l’objet d’une mini-série de la BBC, produite par Sue Birtwistle et réalisée par Simon Langton en 1995 et a été adapté au cinéma par Joe Wright (2005).

4. Star Wars, épisode VII : Le Réveil de la Force (Star Wars : Episode VII – The Force Awakens) de J. J. Abrams est également sorti en 2015.

5. The Revenant de Alejandro González Iñárritu, également sorti en 2015, a reçu 3 Oscars : Meilleur réalisateur, Meilleur acteur (Leonardo DiCaprio), et Meilleure photographie (Emmanuel Lubezki).

Brooklyn. Réal : John Crowley ; sc : Nick Hornby d’après le roman homonyme de Colm Toibin (2009) ; ph : Yves Bélanger ; mont : Jake Roberts ; mu : Michael Brook. Int : Saoirse Ronan, Hugh Gormley, Brid Brennan, Jim Broadbent, Domhnall Gleeson, Julie Walters (Grande-Bretagne-Irlande-Canada, 2015, 111 mn).