Berlin 2006
Compétition officielle et sections parallèles
publié le mardi 24 février 2015

Berlin 2006, 10-19 février 2006, 56e édition

1. Compétition officielle
2. Forum
3. Panorama
4. Perspectives du cinéma allemand

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°302, avril-mai 2006

Tout a grandi, le nombre de films, de salles, de spectateurs, des sections.

Aux six événements Compétition, Panorama, Forum, Perspectives du cinéma allemand, Kinderfilmfest, Rétrospective, se sont ajoutées les séances de la Cinémathèque et les installations vidéo du Forum. Comme toujours sont projetés des films du monde entier avec la prédominance des œuvres orientales.

La compétition, plus quelques films hors concours, comportait des films de vétérans et de débutants.
Peu d’avant-garde mais beaucoup de sujets politiques et sociaux tels Syriana de Steven Gaghan, produit et interprété par George Clooney, ou le terrifiant Road to Guantanamo de Michael Winterbottom.

Beaucoup de ces films dénonciateurs affichent des actes criminels sans aucune distanciation : meurtres, séquestres, suicides, tortures, mutilations, déviations mentales et sexuelles ; c’est le cas de la plupart des films allemands, excellents par ailleurs.
Seul et bienvenu à la mi-temps du Festival, le joyeux et inventif A Prairie Home Companion de Robert Altman, acclamé par les spectateurs et doté du Prix du Public.

Compétition officielle

A Prairie Home Companion de Robert Altman (2006)

Le film d’Altman est un musical réjouissant, intelligent, filmé live avec quelques ajouts. Un film entraînant et légèrement nostalgique. C’est un document sur un radio show très populaire écouté par des millions d’auditeurs qui comporte des sketchs burlesques, des chansons, des publicités inventées. Le show est écrit, présenté, récité au besoin par son modérateur Garrison Kaillor qui par ailleurs écrit des romans et des critiques mais, dit-il, "n’est pas acteur". Il est aussi l’auteur du scénario et a choisi Altman pour réaliser le film.
Le samedi, le show est représenté au théâtre Fitzgerald de St Paul, une petite ville de l’Amérique profonde. Le film est bien un document orné cependant de quelques ajouts fictionnels. Un des personnages du radio show, Guy Noir, portier du studio jouant au détective acquiert un visage et une allure. Un clin d’œil à Capra invente une mystérieuse demoiselle en blanc qui hante les coulisses et aide à mourir un vieil acteur quand son heure a sonné.
Une trame narrative nonchalante, comme les gestes et propos de Kaillor, invente un affreux propriétaire qui a vendu le théâtre. Le document sur le show se transforme en fiction, celle "de la dernière séance".
Les gags et surprises sont innombrables. Meryl Streep et Lily Tomlin en vieilles chanteuses de country, les airs retrouvés des années 50, le bel orchestre du studio qui se met à jouer son personnage, les deux caméras d’Altman filmées par la troisième, invisible, comme si on nous offrait un documentaire sur le tournage du film. Le clou du film reste Kaillor, un colosse habillé de noir au visage renfrogné de bulldog, une silhouette qui pendouille de partout, sa tête, ses paupières, son corps, ses cheveux et une voix qui traîne, celle d’un baryton un brin sirupeux. La loge où s’habillent et se fardent les deux vieilles chanteuses est tapissée de miroirs, où leur image retrouve leur jeunesse, celle de misfits bourlingueuses, mais courageuses et gaies. Un film qu’on voudra voir et revoir les jours de cafard.

A Soap de Pernelle Fischer Christiensen (2006)

A Soap est le premier film de Pernelle Fischer Christiensen.
Financé avec un budget minimal par le Danish Film Institut, dont la politique vise à inciter ses élèves à innover, réalisé en quatre semaines, A Soap traite des besoins et excès de la sexualité.
Une belle fille libre et forte, un travesti inactif et prostitué faute de métier se rencontrent, se heurtent, se retrouvent et deviennent amis. Charlotte s’installe dans un deux-pièces vide, enfin libérée de son conjoint, jaloux et violent. Libre et seule. Mais vider des cartons, et trimballer un gros matelas suppose de l’aide. D’où la rencontre avec Veronika, qui loge au dessous, l’ombrageux et ralenti travesti. Charlotte le conseille, lui donne des parfums, qui cachent ses relents d’homme…le sentiment mal défini qui les unit à des hauts et des bas. Veronika est compliqué, Charlotte impatiente et sans précaution.
Une œuvre nue, simple, nette, un kammerspiel confiné dans deux logis et un escalier. Le jeu des acteurs, la splendide Trine Dyrholm, et David Dencik est minimal. Charlotte ne joue qu’avec ses yeux et sa voix, Veronika est un dormeur paresseux collé à la télé à l’heure des feuilletons. Ni effet d’éclairage, ni jeux de caméra, les gros plans dominent, et on n’inflige au spectateur ni scènes de danse, ni courses dans les rues, aucune action inutile. Un film sur une sorte de sentiment difficile à nommer - le besoin de l’autre et la confiance acquise.

Isabella de Pang Ho-cheung (2006)

Réalisé par un Chinois de Hong Kong, Pang Ho-cheung, Isabella est un des pires films de la compétition.
Un personnage de flic corrompu, la rencontre d’une jeune fille de bar qui s’avère sa fille, beuveries, bagarres, coliques, la vulgarité coule à flot.
Mais la lumière, les effets de clair obscur dans les scènes de nuit, la construction des plans, les angles de prises de vue, tant dans les séquences d’intérieur que dans les ruelles de Macao témoignent de l’adresse et le savoir des techniciens Un film gâté par son scénario et l’outrance des acteurs qui n’a pas sa place dans une sélection. excellente.

The Road to Guantanamo de Michael Winterbottom et Mat Whitecross (2006)

Le film de Michael Winterbottom et Mat Whitecross, Ours d’argent, est un document éprouvant sur les tortures subies plus de deux ans durant par trois jeunes citoyens anglais d’origine pakistanaise kidnappés en Afghanistan par l’armée américaine et transférés au bagne de Cuba après un internement à la prison de Sheberghan.
Les auteurs ont cherché à distancier la violence de leur dénonciation en travaillant leur film sur trois niveaux : un témoignage parlé porté par deux des victimes, une reproduction de leur aventure dans l’Afghanistan en guerre et leur internement sous pouvoir américain, avec des acteurs, tout en restant fidèles aux faits et en filmant sur le terrain. Des extraits de journaux et d’émissions télévisées démontrent la fausseté des informations apportées au grand public.
Le point de départ du récit est la perspective d’un mariage au Pakistan pour le jeune Asif qui quitte la petite ville de Tipton avec son copain Ruled. À la frontière pakistanaise, ils font une virée en Afghanistan, histoire de faire un peu d’activité humanitaire. Le film est partagé en trois segments : un road movie où l’imprévu enchante ces jeunes provinciaux anglais, un film de guerre dès l’arrivée en Afghanistan, et le film de prison à partir de l’arrestation américaine.
Le propos des auteurs est de souligner le caractère normal de ces très jeunes gens, afin de dénoncer la fausseté des alibis américains qui justifient les tortures dans une zone de non-droit au nom de l’identité terroriste des prisonniers.
Quand ils entendent pour le première fois les bombes américaines, l’un d’eux s’écrie "je n’ai vu ça qu’au cinéma". Il est impensable de raconter en détails les horreurs de la guerre et les tortures en prison. Mais on est frappé par la justesse de certains détails. Quand ils sont déportés dans un container en zinc par les talibans, l’un d’eux s’évanouit, étouffé. Au réveil, le camion blindé est bourré de cadavres, lui-même blessé à la main ramasse la rouille des parois et la mêle à son sang pour boire.
On reste confondu par la brutalité inutile - les prisonniers aveuglés sont entraînés par des liens en fil de fer. Confondu aussi par la bêtise des inquisiteurs, qui demandent l’adresse de Ben Laden. À la fin du film, le témoin conclut que l’épreuve terminée, il faut oublier et recommencer à vivre.

Find Me Guilty de Sydney Lumet (2006)

Le film de Sydney Lumet débarque en fin de parcours.
Un film de genre bien connu, le film de procès, à voir bien confortablement. On pense inévitablement au film des années 50, Douze hommes en colère, sans bien remarquer l’étrangeté du titre.
Et surprise, le film est un "docudrama" qui retrace un procès extraordinaire. Une durée de deux ans, une famille mafieuse de vingt membres, soixante-seize chefs d’accusation, et un vingt-et-unième accusé, voleur, trafiquant, souteneur, qui purge une peine de trente ans et a refusé de collaborer avec la justice en échange d’une réduction de peine. Ce dernier accusé, Daddy Di Norcio, prend en charge sa propre défense.
L’accent mis sur le Me du titre fait allusion au dénouement du procès.
Di Norcio (Vin Diesel) porte l’intrigue avec ses blagues, sa belle indifférence aux procédures. Il émeut le président du tribunal, exaspère le procureur, se concilie "sa" famille qui se voit mal représentée par un criminel reconnu et dès la première audience, fait rire les jurés. "Je suis un gagster, pas un gangster". Son jeu rigolard, son impréparation, son isolement, les mauvais traitements subis en prison rendent sympathique un personnage dont l’intelligence, l’invention comique, le courage, la fidélité à son clan coïncident avec une vie criminelle.
Le dernier mot adressé aux jurés tient en trois mots : "Find me guilty".
Dans la joie générale des acquittés, du public en transe, Di Norcio est ramené dans la prison. Un moment d’émotion que dissipent les hourras des prisonniers, hommage au vainqueur que le spectateur est tenté de partager.

Forum

Le programme du Forum s’est encore élargi.
Plus de 80 films, autant que le programme de la Compétition et du Panorama réunis. Les installations "Forum expanded" présentent même quelques films en relation avec l’art moderne.
En fait, le Forum ne se réduit pas à son programme.
C’est pour les journalistes le seul lieu de repos, de travail, de rencontres informelles avec les acteurs et cinéastes invités ; une atmosphère que définit bien l’intraductible mot : Gemütlichkeit, se sentir bien entre amis.
L’information confrontée aux maigres résumés du catalogue officiel est sérieuse, fournie et comporte de longs entretiens. Une autre pratique essentielle du Forum est la distribution des films qui, après la fête, circulent à Berlin pour le public normal.

Nous avons vu douze films : auteurs aimés, et inconnus piqués au hasard, en privilégiant les documentaires. Et en effet, c’est la qualité des documentaires qui fut le point fort du Forum. Et, comme chaque année, on a retrouvé les œuvres des grands documentaristes reconnus.

Kimyo na sakasu (Strange Circus) du Japonais Sono Sion (2005)

Un entassement d’horreurs, inceste, voyeurisme, meurtres et mutilations, flots de sang.
Ce serait la représentation du best-seller écrit par une romancière (l’actrice Miyazaki Masumi joue les deux rôles). Le hic est que le bureau de l’éditeur où elle a présenté son livre affiche le même style que la maison de supplices, un décor hideux comme en présentent certaines boutiques gothiques noir et or, avec squelettes, têtes de morts et figurines martiales. Son jeune secrétaire est aussi un frère martyrisé. Les intrigues à tiroirs exigent de la précision et de la logique.
Une seule image authentiquement surréelle : l’invention du papa incestueux qui enferme sa fillette dans un étui de violoncelle d’où, par un petit trou, elle regarde et envie les étreintes de ses parents.

Wide Awake d’Alan Berliner (2006)

Le film relève comme ses œuvres précédentes d’une véritable avant-garde, on accède au meilleur film du Filmfest.
C’est un accumulation d’éléments hétérogènes rassemblés depuis sa jeunesse, montés avec la précision des rouages horlogers.
Berliner se définit comme un tailleur capable d’organiser son bric-à-brac comme "on devrait monter sa vie". S’entrechoquent au départ un flot d’images de films muets, de souvenirs filmés en vidéo, les listes de pilules, lait de vie, produits zen avalés sans résultat, celle de docteurs spécialistes du sommeil et autres psy et analystes. Car Berliner est insomniaque, travaille la nuit et somnole le jour. Il donne à voir ses activités et ses doutes de cinéaste ainsi que les collections qui recouvrent les murs, remplissent les tiroirs : images, reproductions, amas de vidéos, montagnes de coupures de journaux, et par ailleurs, des mécanismes d’horlogerie. Il note les images, les fragments musicaux, les souvenirs qui apparaissent au seuil de l’endormissement et qui relèvent de son inconscient. Mais son but, c’est d’évoquer cet inconscient au cinéma.
Il définit son travail : "des films personnels qui transcendent la spécificité de mon histoire et pousseraient le spectateur à découvrir la sienne".

Piteopaeneui gongshik (The Peter Pan Formula) de Cho Chang-ho (2005)

Ce film coréen évoque la crise d’un jeune lycéen, champion de natation.
Choqué par le suicide manqué de sa mère, il est frappé d’inertie. Un portrait délicat d’un adolescent à la recherche de ses origines, quelques détails réalistes sur la société d’une petite ville, par éclats, de la brutalité.
Seul détonne un titre que contredit l’importance du monde aquatique et sous-marin de l’intrigue.

John et Jane de Ashim Ahluwalia (2005)

Ashim Ahluwalia, originaire de Bombay, combine le document vérité sur un call-center de Bombay et ses desservants, avec le monde imaginaire dans lequel s’immergent six personnages qui se sentent mués en Américains. Précis et inquiétant.

Lelaki komunis terakhir (The Last Communist) d’Amir Muhammad (2006)

Le film restitue la biographie de Chin Peng, fondateur du Parti communiste malais, actuellement réfugié en Thaiïande.
Un film bourré d’informations sur l’histoire malaise, l’occupation japonaise, celle des Anglais qui bannirent la gauche, comme l’actuel gouvernement de la Malaisie libérée. Des paysages, des interviews, la figure de Peng, jouée par un acteur et aussi, ce qui transfigure ce document en musical joyeux, des danses et chansons ringardes de rondes et roses danseuses, une satire de la propagande anglaise et ses émissions télévisées qui, en technicolor chantaient le bonheur d’une Malaisie "libérée".

Inatteso (Unespected) de Domenico Distilo (2005)

Le film a la brièveté et la clarté d’une démonstration brechtienne.
Trois immigrés plantés droit et de dos sur l’écran, se retournent l’un après l’autre et répondent aux questions vitales du documentariste - Domenico Distilo, élève du Centro Sperimentale de Rome.
Les immigrés venus d’Afrique rendent compte de leur parcours, des sommes payées, de l’attente en Tunisie, du bateau abandonné aux vagues, de l’emprisonnement à Lampedusa, de la fuite dans la clandestinité. L’information n’est pas neuve, mais elle acquière une qualité rare, en montrant des visages des victimes, et la fierté de leur récit.

Babooska de Tizza Covi et Reiner Frimmel (2005)

L’Italienne Tizza Covi et l’Autrichien Reiner Frimmel ont réalisé un road movie déguisé en cinéma-vérité.
Ils ont suivi sans intervenir le parcours d’un petit cirque trimballé dans un camping-car conduit par Babooska, danseuse et acrobate, à travers des patelins italiens peu intéressés. Sa petite fille est passée par 27 écoles en un an. Les numéros restent off. Ce qui touche et surprend, c’est le soin donné au mobilier, vaisselle, bibelots, photos rangés puis remis en place chaque jour, les soirées au café quand le cirque reste vide, la vie des petites bourgs.

Aus der Ferne (From Far Away) de Thomas Arslan (2006)

C’est le retour aux sources d’un Allemand d’origine turque.
Un triptyque sur Istanboul où il retrouve sa sœur aînée, Ankara dont il montre la modernité, sans notes pittoresques, suivant par exemple une visite scolaire au musée d’art moderne, et, finalement et sans commentaire, une ville kurde tout au nord.
Sans commentaire et dans la clarté du cinéma-vérité, il fait sentir la nécessité et la possibilité d’un progrès, et d’une entente entre civilisations différentes.

Memory for Max, Claire, Ida and Company de Allan King (2005)

King filme les soins donnés dans un centre canadien de gériatrie, et notamment ceux donnés à des vieillards malades de l’Alzheimer.
Des soins qui respectent la dignité des malades, à qui on explique la perte de leur mémoire, et qui gardent leur sensibilité, leur émotion, leur rage, la peur de la solitude, sans comprendre l’absence d’un vieil ami mort, sans accepter la solitude ou l’absence du parent attendu.
Un film terrible mais net et sans complaisance.

Panorama

Hamburger Lektionen de Romuald Karmakar (2006)

Six ans après Das Himmler Projekt, Romuald Karmakar, toujours méconnu en France, reprend la même formule avec Hamburger Lektionen.
2 h 20 durant, un acteur en plan américain, Manfred Zapatka, lit sans aucune expression les propos émis par un imam de la mosquée Al-Quds à Hambourg, en 2000, en réponse aux questions rédigées par des jeunes musulmans.
Plus de cent questions écrites sur des petits feuillets, auxquelles il répond en se référant à Mahomet. Les questions portent sur la religion du Coran, l’existence d’une vie après la mort, le type de paradis attendu.
Mais le plus intéressant, ce sont les questions portant sur la vie quotidienne, les rapports avec les non-croyants, la protection des femmes, la possibilité de discuter certaines pages de la Bible chrétienne, la reconnaissance des droits de la guerre. L’imam évolue d’un jour à l’autre, évoquant sa non-compétence parfois, acceptant l’évolution de l’Histoire, puis brusquement affirmant le droit de la violence, des châtiments corporels, du massacre d’enfants, des guerres de reconquêtes.
On entend l’arabe de l’imam, Zapatka lit les textes en allemand, il hésite souvent devant des notions arabes non traduisibles qu’il reproduit telles quelles. Une salle bondée et l’expérience inédite d’être confronté au bas d’un écran gigantesque au gros plan d’un acteur quasi immobile.

Derecho di familia de Daniel Burman (2006)

Le nouveau film de Daniel Burman, Derecho di familia, achève sa trilogie consacrée aux conflits père-fils.
Une œuvre plus détendue mais quasiment autobiographique : on a été avocat de père en fils dans la famille Burnan, et la tradition a été perdue quand Daniel, après ses études de droit, est devenu cinéaste.
La comédie caricature légèrement les deux avocats Perelman.
Perelman senior se lève à 6h, discute au café à 7h, pointe à 8h au Palais de justice et rencontre ses clients au bistro.
Perelman junior au bout de ses six ans d’enseignant du droit, connaît son code à la lettre, est un acharné du détail exact, et relève sévèrement les réponses vagues ou hésitantes de ses élèves. Devenu assistant de son père, préposé aux courses ou confiné dans l’antichambre, il pense à démissionner. Une fois rencontrée la femme de sa vie, tout change à la naissance de son fils. (L’enfant de 3 ans est joué par son propre fils). Perelman junior découvre qu’être père c’est remplacer en moins efficace une femme de ménage.
Bref, - le film est syncopé et enjambe de longues séquences de vie - Daniel et son père se rejoignent, se comprennent.
Burman ironise discrètement, évite le mélodrame, arrive à faire sentir des émotions intimes sans gestes ni paroles. Père et fils se sont retrouvés, on les voit descendre ensemble les marches du Palais, en zigzaguant, au même rythme. Tout est dit. Le finale boucle la boucle, Perelman senior disparu, Perelman junior offre un bouquet à la vieille secrétaire de son père, c’est la surprise heureuse.

The Notorious Bettie Page de Mary Harron (2005)

Une fiction documentée sur la pin-up du siècle.
Une fille de famille pauvre va à New York tenter sa chance pour devenir actrice et finit en porno star, condamnée pour indécence à la fin d’un procès qui détruisit toutes ses photos de nu et ses films.
L’intérêt du film, écrit et réalisé par une journaliste canadienne, liée à Andy Warhol Mary Harron, tient à la finesse du traitement qui exalte la beauté et l’innocence d’un corps nu et la vulgarité des films débiles qu’on lui fait jouer.

The Proposition de John Hillcoat (2005)

Le sujet était prometteur : perdu dans la brousse australienne livrée aux exactions de bandits devenus sauvages, un officier pour préserver sa vie familiale, son épouse bourgeoise, son petit jardin bien clos, essaye de canaliser la violence en lançant ses criminels contre leurs propres frères.
Mais le scénario écrit par Nick Cave est surchargé, incompréhensible, les images se chevauchent, on distingue des viols, des meurtres, des visages éclatés sans bien distinguer qui tue qui et chaque coup de fusil, chaque lancer de poignard provoque des flots de sang : le spaghetti western par rapport à Proposition devient délicat.
Un technicolor aux rouges flamboyants n’arrange rien. John Hillcoat, le réalisateur en est a son cinquième film.

Kaalpurush de Buddhaded Dasgupta (2005)

Le film de Buddhaded Dasgupta se situe à Calcutta.
Il traite de la relation à son père d’un pauvre employé de bureau, Sumanta, qui tout jeune a essayé de le tuer parce qu’il trompait sa mère. Un mélodrame discret qui comporte des moments burlesques liés à la figure de Supriya, sa femme, qui se prend pour une grande intellectuelle.
Mais le film, répétitif, déçoit. Le personnage du père avec son beau visage désolé garde toujours la même expression au présent et dans les flash back de ses 30 ans. L’épouse ambitieuse prend l’inévitable pose de l’indienne potelée étendue en gros plan sur un canapé.

Stay de Marc Foster (2005)

Marc Forster raconte la relation d’un jeune psychiatre, Sam Forster (sic), avec un étudiant amnésique et suicidaire, trouvé à côté d’une voiture renversée sur le pont de Brooklyn.
Le jeune amnésique refuse tout rapport et annonce l’heure et la date de son suicide. Forster enquête sur la famille de son patient, discute avec son amie Lila qui l’a connu auparavant. Petit à petit, il s’implique personnellement dans le vécu de son client et le thriller devient un film d’épouvante. Les visions affluent, les événements se reproduisent, Forster perd sa personnalité. Le récit est envoûtant, les interprètes, remarquables et crédibles, la mise en scène sobre. Seul le virage du thème psychologique au thriller paranormal déroute un peu le spectateur.

Perspectives du cinéma allemand

La sélection allemande comportait plus de quarante films (sans compter la section allemande qui regroupe, sans critères, bons et mauvais films, les inédits et ceux qui sont déjà sortis).
On pouvait compter une bonne dizaine de bons films, celui de Christian Petzold, Gespenster, celui de Laérs Kraume, Keine Lieder über Liebe, et bien d’autres.
Mais l’intérêt de la Berlinale était ailleurs : dans les risques pris à présenter des premiers et second films, à donner leur chance à de jeunes auteurs. L’âge moyen des réalisateurs tournait autour de 40 ans. Les deux vétérans, Heinz Emigholz et Rosa von Praunheim présentait, le premier, un film d’avant-garde, l’autre, une dénonciation enragée de l’extermination des homosexuels dans les camps nazis. Beaucoup de ces jeunes auteurs n’avaient comme expérience que des travaux télévisés ou des films vidéos qui avaient, eux aussi, leur droit d’entrée.

Certes tout n’était pas réussi, la jeunesse n’étant pas en soi un critère de talent. En témoigne Sophie Scholl de Marc Rothemund qui reçut bizarrement l’Ours d’argent. On a primé le sujet, les six jours vécus par l’étudiante munichoise entre son arrestation et sa décapitation - elle avait, avec son frère, distribué des tracts contre la guerre en 1943.
Mais ni le traitement ni le jeu de l’actrice ne sont à la hauteur.

Rosa von Praunheim met en relation la responsabilité sociale et les "anormalités" dans Männer, Helden, und Schwule Nazis.
Du cinéma vérité sur quatre homosexuels contemporains. Le prénom que s’est donné le réalisateur fait allusion à la marque imposée aux homosexuels dans les camps.

Un jour en Europe  de Hannes Stöhr (2005)

C’est un film à sketches ou plutôt à variations.
Tout va par quatre. Les villes, Moscou, Istanboul, La Corogne, Berlin. Quatre types de c’est dans les séquences anglaises, Rokko, allemand, Gabor hongrois, et Rachida et Claude français.
Tout se passe le jour de la finale de la Ligue des champions entre les équipes turque et espagnole. Chaque personnage ayant perdu, ou prétendant avoir perdu sa valise, histoire de toucher l’assurance, est aidé par des gens du coin, ce qui pose des problèmes de langage et quelques quiproquos. Enlevé, spirituel, reposant sur une bonne expérience des diverses polices - Stöhr a bourlingué dans sa jeunesse.
Seul l’épisode berlinois, avec ses deux jeunes Français sans le sou, qui cherchent dans Berlin un quartier à immigrés réputés voleurs, traîne un peu et ne convainc pas. L’Allemand, aussi fraudeur que nos compatriotes et peu cinéphile, se met, lui, dans la gueule du loup, la police turque peu hospitalière.
Chaque épisode est différent, l’Anglaise est recueillie par une Moscovite au grand cœur, le Hongrois qui tenait tant à son appareil photo, et ses quelques cents documents perdus, est doté par le cinéaste d’une identité plus fournie.

Willenbrock de Andreas Dresen (2005)

Dresen a totalement renoncé aux techniques d’improvisation du film précédent, pour mieux adapter le roman dont il s’est inspiré.
L’histoire de Bernd Willenbrock, un marchand de voiture d’occasion, est située à Magdebourg. C’est un homme heureux et arrivé. Tout lui réussit, il est doté d’une femme sensuelle et fidèle, d’une maîtresse chic, il a deux maisons, une belle villa en ville et une petite résidence d’été à la campagne.
Des pratiques de l’Est, il a gardé le sens de l’économie, des rapports avec les gens de là-bas, il se contente d’un seul ouvrier.
Le coup d’envoi du malheur reste imperceptible, quelques voitures disparaissent du chantier, il engage un veilleur dont la fille pourrait bien se laisser séduire.
C’est là que se déclenche un processus de déchéance inexorable. Il perd finalement sa maison, sa maîtresse et sa femme. Il perd aussi son contrôle.
Ce film qui saisit la grande fragilité de notre monde et nous atteint en profondeur est aussi très attentif aux détails concrets. Le récit n’est pas situé dans n’importe quelle ville, c’est bien Magdebourg, avec ses zones abandonnées et ses terrains vagues, les policiers sont conscients de leur impuissance devant une criminalité venue d’ailleurs et toujours renouvelée.
Le film de Dresen aurait mérité un Ours d’argent, ne serait-ce que par la prestation étonnante de Alex Prahl, si différent ici du mari abandonné de Halbe Treppe.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°302, avril-mai 2006

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