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Atlantic City (1980)
de Louis Malle
publié le mercredi 6 septembre 2023

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°129, septembre-octobre 1980

Sélection officielle de la Mostra de Venise 1980
Lion d’or

Sorties les mercredis 3 septembre 1980 et 6 septembre 2023


 


Après La Petite (1978), Louis Malle signe ici son deuxième film américain. Il y a là une situation originale dans la mesure où rares sont les cinéastes français qui se sont directement confrontés à une cinématographie que d’autres ont utilisée comme référence ou dans laquelle ils ont puisé des éléments de style. Bien qu’étant une co-production franco-canadienne, Atlantic City (USA) renvoie à toute une tradition du cinéma américain, celle qui cherche à susciter le plaisir tout en liant intimement l’imaginaire et la réalité. La réalité, c’est d’abord la ville d’Atlantic City, lieu de loisir qui a connu ses heures de gloire au moment de la prohibition et quand les grandes fortunes de la côte Est se retrouvaient pour y jouer dans les casinos de luxe.


 

Mais aujourd’hui, pour sauver la ville de la ruine, on attire une clientèle plus modeste avec les machines à sous, tandis que les maisons vieillies abritent les petits trafics et les survivants nostalgiques de la grande époque. De toute évidence, Louis Malle a voulu nous faire partager cette fascination pour ce lieu symbolique de l’évolution qu’a connue l’Amérique, pour cette ville qui vit à l’ombre de son passé. On retrouve le souci qu’il avait eu dans La Petite de capter l’esprit d’un endroit, et il faut reconnaître qu’il y parvient très bien dans ce dernier film.


 

L’imaginaire, ce sont les personnages et le récit que John Guare a créés. Lou, le personnage central, interprété par Burt Lancaster, sert de lien entre ce passé mythique et le présent sordide. Il vit dans le souvenir idéalisé de l’âge d’or de la ville, dans le refus de reconnaître les changements survenus dans le monde qui l’entoure. Quand un jour il se trouve mêlé à une histoire de trafic de drogue, il se donne l’illusion de revivre la légende, de retrouver sa jeunesse. En fait, on sent en lui un besoin presque pathétique de reculer l’approche de la mort.


 

La rencontre avec Spily, serveuse de restaurant qui apprend le métier de croupier de casino, renforce en lui cette impression qu’il peut recommencer sa vie jusqu’au moment où il ne pourra plus vivre son rêve. La fiction sert à mieux cerner la décadence d’une ville et même d’une société à travers cette rencontre de deux personnages contradictoires dont les chemins se croisent un instant.


 

La qualité de Atlantic City repose en premier lieu sur la prestation des acteurs et surtout la présence d’un Burt Lancaster utilisé à contre emploi ce qui permet à Louis Malle de donner à son film une coloration qui joue à la fois sur la tendresse et sur l’ironie. Les rôles secondaires contribuent eux aussi à créer le climat du film. Bien évidemment, le plaisir qu’on prend à voir le film provient en grande partie de ce que les acteurs ont su donner vie à des personnages qui sinon n’auraient rien de très extraordinaire.


 

Il serait cependant injuste de faire reposer la qualité du film sur les seuls acteurs. Atlantic City n’est pas seulement la rencontre de Louis Malle avec le cinéma américain et ses rêves, c’est aussi un moment dans la carrière d’un cinéaste qui a su refuser de se figer dans un genre et qui là où il se trouve, quel que soit le sujet qu’il aborde, parvient souvent à communiquer son plaisir de faire du cinéma. Le Louis Malle américain reste fidèle à son souci de qualité et de personnalité. Ayant atteint une telle maîtrise, il reste à souhaiter qu’il rencontre des sujets plus consistants pour ses prochains films. Dès lors qu’il a assimilé la tradition américaine, il serait dommage qu’il ne nous donne pas, maintenant, une vision plus actuelle des États-Unis.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°129, septembre-octobre 1980

* Cf. "Entretien avec Louis Malle", Jeune Cinéma n°184, novembre 1987.


Atlantic City. Réal : Louis Malle ; sc : John Guare d’après le roman La Porte en face de Laird Koenig ; ph : Richard Ciupka ; mont : Suzanne Baron ; mu : Michel Legrand. Int : Burt Lancasetr, Susan Sarandon, Kate Reid, Michel Piccoli (Canada-France, 1980, 104 mn).



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