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Cœurs verts (les) (1965)
de Édouard Luntz
publié le vendredi 29 septembre 2023

par Jean Delmas
Jeune Cinéma n°16, juin 1966

Sélection officielle de la Berlinale 1966
Prix de la critique
Grand prix du Festival du jeune cinéma de Hyères 1966

Sortie le mercredi 30 novembre 1966


 


C’est aux Cœurs verts que le Prix du jeune cinéma français a été attribué à Hyères, et si le film de Édouard Luntz n’était pas au Festival de Pesaro, c’est sans doute parce qu’il avait été auparavant retenu pour celui de Berlin.


 

Les Cœurs verts, c’est l’histoire d’un groupe de "blousons noirs", d’une fille et d’un garçon qui, un certain moment, échappe à la loi du groupe. Au centre du film, l’histoire de la jeune fille. Parce qu’elle a le cafard, qu’elle se sent trop seule, elle traîne dans un café, se laisse accrocher par la bande de garçons. Elle se ravise et veut se séparer d’eux, mais elle est à ce moment, comme une propriété du clan, livrée et prise - pratiquement de force - par un garçon qu’elle a dû désigner pour éviter pire. L’épisode est assez terrible. Il ne répond aucunement à une recherche de sensation. Car tout ce qui est dit avant, situe les principaux personnages de la bande : un vol d’essence, l’arrestation, un stage dans une maison de redressement, et ensuite pas de travail.


 


 

Tout cela comme simple constat, jamais sur un ton édifiant. Constats aussi : la famille du garçon avec l’exaspération réciproque ; le travail à la chaîne de la jeune fille évoquant avec force l’aliénation ouvrière ; l’incompréhension réciproque du jeune bon-à-rien avec sa jactance anarchiste, et des ouvriers avec une bonne conscience qui n’échappe pas aux slogans de la bourgeoise "sagesse des nations". Il y a ici le maximum d’éléments donnés au spectateur pour une interprétation sociale (presque sociologique) des cas individuels, sans que jamais le film dicte l’interprétation. C’est vraiment une œuvre qui ne moralise, ni ne démoralise, qui respecte l’intelligence du public - en cela beaucoup plus brechtienne que tant d’autres qui se réclament de Bertolt Brecht.


 


 

Ce qui se passe après la première et sombre rencontre entre le garçon et la fille manifeste chez Édouard Luntz le même refus de choisir pour les autres, la même volonté de refléter seulement l’incertitude de ce qui vit. Chez le garçon, c’est un duel entre les roueries qu’appelle son passé, sa suffisance de jeune coq et un amour vrai auquel il est pris. Chez elle, un balancement entre l’abandon à cet homme qui rompt sa solitude et la fierté ou la vengeance. On ne sait jamais à l’avance ce qui l’emportera. Il y a ce merveilleux moment du bal où, après l’avoir insulté, elle danse, la tête sur son épaule et se confie à lui. À ce moment on pourrait penser qu’ils vont filer le parfait amour... Et puis il y a la scène finale (entre eux), où le mouvement des passions s’inverse : c’est lui, cette fois, qui paraît conquis, jure que tout est changé, promet de la défendre pour la vie. La bande arrive et les défie.


 


 


 

D’un mouvement qui ne prend même pas le temps de la réflexion, elle croit qu’il est le complice des autres, elle croit à un second guet-apens. Brusquement, elle se retourne et, avec une affectation de cynisme, choisit la bande contre lui. C’est le refus à la fin heureuse et, en même temps, c’est la fin la plus fière. Il n’y a ici ni concession aux bons sentiments, ni goût pour les mauvais sentiments. On ne peut pas dire que ce qui devait arriver arrive. Il arrive seulement ce qui pouvait arriver.


 


 

Il n’y a pas non plus de concessions dans les rapports avec la société. Ce qui avait le plus de chance d’arriver était que le garçon ne soit pas sauvé, réhabilité pour son présent fugitif, mais aille en prison pour son passé, et il va en prison. Par cela, le film est neuf sur un sujet pourtant si souvent traité. Il l’est aussi par la justesse du dialogue et des attitudes très proches du cinéma direct. Il montre comment cette méthode du cinéma vérité, jouant cette fois sur des ressorts dramatiques forts, peut à la fois répondre aux habitudes, à l’attente valable du spectateur de cinéma et, en effet, à une exigence plus grande de vérité.

Jean Delmas
Jeune Cinéma n°16, juin 1966

* Cf. "Entretien avec Édouard Luntz", Jeune Cinéma n°20, février 1967.


Les Cœurs verts. Réal, sc : Édouard Luntz ; ph : Jean Badal ; mont : Colette Kouchner & Suzanne Sandberg ; mu : Serge Gainsbourg. Int : Gérard Zimmermann, Éric Penet, Françoise Bonneau, Maryse Maire, Arlette Thomas, Jacques Préboist (France, 1965, 90 mn).



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