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Au nom de la loi (1949)
de Pietro Germi
publié le mercredi 20 septembre 2023

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°412, décembre 2021

Sorties le samedi 19 février 1949 et les mercredis 12 avril 1950 et 20 septembre 2023


 


Les deux artisans des bonus du DVD (1), Jean A. Gili et Jean-Baptiste Thoret, ont successivement raison : Pietro Germi souffre d’un manque de notoriété, et Au nom de la loi est strictement un western.
Le manque de notoriété est certes relatif. Le réalisateur a engrangé quelques succès notoires et même reçu une Palme d’or (même s’il n’en eut qu’une moitié) (2). Mais un succès populaire est toujours menacé par le canard du doute (aux lèvres de vermouth, comme on sait) - il ne faut pas plaire au trop grand nombre, la réputation peut en souffrir. À côté des grands Italiens de sa génération, celle des décennies 50 et 60, Pietro Germi ne pèse pas lourd. Quel amateur non spécialiste peut citer un titre parmi ses douze premiers films, entre Le Témoin (1946) et Divorce à l’italienne (1961) ? Et sa demi-palme de 1966 est obérée, au tribunal de l’Histoire, par son corécipiendaire Claude Chabadabada Lelouch. Pourtant, cinq lustres plus tard, Un homme et une femme demeure d’une insignifiance effarante alors que Ces messieurs dames a gardé toute sa causticité grinçante.


 

Au fur et à mesure que l’on découvre, grâce à d’heureuses rééditions en DVD, ce que Pietro Germi a tourné avant Divorzio all’italiana, on est frappé par la puissance de ses films et leur actualité. Le Chemin de l’espérance (Il camino delle speranza, 1950) et ses migrants siciliens qui remontent toute la botte pour franchir les Alpes dans des conditions éprouvantes appartiennent encore à notre temps, Le Disque rouge (Il ferroviere, 1956) est un drame social d’une rare justesse, et Meurtre à l’italienne (Un maledetto imbroglio, 1959) réussit à adapter brillamment L’Affreux Pastis de la rue des Merles de Carlo Emilio Gadda, ce que tous les lecteurs du roman pensaient impossible (3).


 

On aimerait que la réapparition de In nome della legge (1949) permette à son auteur de retrouver l’épaisseur historique qu’il mérite. Car il s’agit d’un grand film qui, effectivement, commence comme un western. Une minuscule gare perdue, un homme seul qui descend du train et sait devoir aller à l’affrontement, c’est le début de Un homme est passé de John Sturges (1955), le Scope couleurs en moins, mais dans un noir & blanc qui sublime le paysage désolé qui l’entoure.


 

Le récit s’installe dans un contexte de western - la ville aux mains d’un propriétaire corrompu, soutenu par le chef d’une horde d’hommes de main -, déroule des situations de western – le représentant de la loi et ses quelques assistants face à une population hostile -, et s’achève comme un western - place reste à l’ordre, le juge retourne les habitants et conclut une paix (armée) avec les brigands.


 

Tout y est. Massimo Girotti pourrait être à la fois Gary Cooper, Alan Ladd et Gregory Peck, et Pietro Germi le précurseur de Sergio Leone. Sauf que le film décrit précisément des situations qui n’ont rien à voir avec le Wild West. La ville n’est pas Tombstone mais une cité de mineurs (mine de soufre, nous apprend Jean A. Gili,) ruinée sciemment par son propriétaire, le shérif est un magistrat fonctionnaire de Palerme, et le méchant n’est pas un cattle-baron visant à préserver ses espaces de pâture, mais le chef de la Mafia locale. Une Mafia dont c’est la première évocation dans un film italien, ce qui donne à celui-ci une importance immédiate en tant que point de départ d’une filmographie à rallonge.


 

Mais la Cosa nostra n’est pas décrite comme l’hydre qu’elle était déjà depuis belle lurette. L’organisation que dirige Charles Vanel se réduit à une dizaine de sbires, qui n’interviennent qu’à peine pour faire régner un ordre peu dérangé par une population au chômage. Ce ne sont pas les trois carabiniers, ni les magistrats sans pouvoir qui se succèdent - le juge que vient remplacer Massimo Girotti lui conseille de repartir illico -, qui vont remuer une société aussi bloquée. Si le terme de mafia est employé, ce qu’on nous montre ressemble plus à une milice villageoise qu’à l’appendice d’une Organisation, avec une majuscule, ramifiée dans toute la Sicile.


 

Ce qui n’enlève rien à la démonstration de Pietro Germi - secondé au scénario, adapté d’un livre de Guido Lo Schiavo, par Tullio Pinelli, Federico Fellini et Mario Monicelli, fermez le ban - qui se veut comme un rappel à l’ordre. C’est sur le respect de la loi que se fonde la vie d’une cité. Et le discours final du juge Schiavi, face à une population prête au lynchage, s’appuie sur cette nécessité évidente que Massimo Girotti clame de si vibrante façon qu’il fait basculer la situation et convainc les habitants.


 

On ne peut s’empêcher de trouver la conclusion pas mal optimiste, et Charles Vanel repartant avec sa troupe en laissant le champ libre à la loi sonne comme la fin heureuse qui conclut régulièrement les westerns : le shérif a toujours raison. On est heureux que la Mafia soit aussi accommodante, mais on n’y croit pas trop. Pietro Germi, dont les films ne manquaient pas de lucidité, y croyait-il lui-même ?


 

En tout cas, Au nom de la loi, entre ses séquences initiale et ultime, offre un spectacle d’une beauté constante. Le tournage dans la Sicile profonde, le recours aux villageois de Sciacca (les acteurs professionnels se comptent sur les doigts de la main) donnent au film la même véracité que La terra trema, tourné l’année précédente à Aci Trezza par Luchino Visconti. Certes, Pietro Germi n’avait pas la même intention documentaire que lui, mais le tableau qu’il dresse, avec désormais sa patine temporelle, se révèle du même ordre, sur un autre registre : un bourg oublié, une bonne société corrompue et solidaire, un lointain pouvoir étatique complice. Dix ans plus tard, lorsque Francesco Rosi réalisera Salvatore Giuliano, les lieux seront encore dans le même état.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°412, décembre 2021

1. Chez Tamasa : Pietro Germi, Au nom de la loi, coll. Make My Day, Tamasa, combo DVD+Blu-ray.

2. En 1966, au Festival de Cannes, Ces messieurs dames (Signore & signori) de Pietro Germi a partagé la Palme d’or ex-æquo avec Un homme et une femme de Claude Lelouch.

3. L’Affreux Pastis de la rue des Merles (Quer pasticciaccio brutto de via Merulana) de Carlo Emilio Gadda, Rome, Garzanti, 1957. Le roman est paru d’abord en cinq épisodes dans la revue Letteratura en 1946. Il est paru au Seuil, en 1963, dans une traduction de Jean-Paul Manganaro.


Au nom de la loi (In nome della legge). Réal : Pietro Germi ; sc : P.G., Giuseppe Mangione, Mario Monicelli, Federico Fellini, Tullio Pinelli, d’après le roman de Guido Loschiavo (1948) ; ph : Leonida Barboni ; mont : Rolando Benedetti ; mu : Carlo Rustichelli ; déc : Gino Morici. Int : Massimo Girotti, Jone Salinas ; Camillo Mastrocinque, Charles Vanel, Saro Urzì, Turi Pandolfini, Ignazio Balsamo (Italie, 1949, 101 mn).



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