Malgré leur titre commun, le film n’a rien à voir avec notre revue. (1)
Yves-Marie Mahé retrace, dans son film, Jeune Cinéma, l’existence du Festival d’Hyères, fondé par Maurice Périsset, qui s’est tenu de 1965 à 1983. À l’époque, tout était "jeune cinéma" : tchèque, allemand, hongrois, polonais, américain même, et l’intitulé de la revue, née en 1964, était à l’unisson de ce renouveau international.
Les premières Rencontres internationales du jeune cinéma se tiennent à Hyères du 26 au 30 avril 1965. Les invités sont mêlés au public, actrices et acteurs, réalisateurs inconnus et affirmés s’y côtoyant, dans une ambiance festive et détendue.

Le festival fait découvrir André Delvaux, Luc Moullet, Philippe Garrel, et certains réalisateurs aujourd’hui injustement oubliés comme Édouard Luntz, José Varela, Roland Lethem, Paule Sengissen, Francis Leroi.

La politique envahit le festival après 1968. La perturbation constante des débats met à mal un festival encore fragile. La question de la remise de prix se pose, alors que les films primés ne trouvent pas de distribution. En 1972, pour des raisons politiques et de financement, le festival quitte Hyères pour Toulon. Deux sections sont alors proposées : Cinéma d’aujourd’hui, plutôt art & essai, et Cinéma différent, plutôt expérimental.

Un nouveau débat apparaît : celui de la place des femmes et de leurs films dans le cinéma. En 1975, la Norvégienne Anja Breien projette son film Les Épouses (Hustruer), pamphlet féministe, et l’Allemande Helma Sanders-Brahms, Sous les pavés la plage (Unter dem Pflaster ist der Strand). Côté cinéma expérimental, Modelo de Kostas Sfikas, (1974), film muet de 90 minutes, composé de deux images pratiquement fixes provoque des débats animés.

Le maire de Toulon cessant de financer le festival, celui-ci retourne à Hyères en 1977.
Les difficultés ne sont pas pour autant effacées. Le débat fait rage entre les tenants du cinéma expérimental et ceux qui souhaitent rester plus grand public, accusant la section Cinéma différent de présenter un cinéma "de ghetto". Le film expérimental de Stuart Pound, Codex (1979), reçoit néanmoins le Grand Prix.

En 1983, la municipalité de Hyères repasse à droite. Marcel Mazé, sélectionneur de Cinéma différent, déplore : "Le genre des films présentés ne plaît pas aux nouveaux conseillers municipaux qui demandent que ma sélection soit supervisée par l’un des leurs". Devant le refus du conseil d’administration du festival, la subvention n’est pas renouvelée. C’est la fin des Rencontres.

Cette histoire est passionnante. Devant les documents bruts rassemblés, on a l’impression de pénétrer dans une recherche ethnologique sur un peuple disparu. Quelle foire d’empoigne dans les débats et quelle liberté de parole ! L’intérêt du film de Yves-Marie Mahé tient dans la richesse de sa recherche iconographique et filmique.

Cependant, la juxtaposition des documents, en l’absence de tout commentaire, et sans pause ni transition, empêche de dégager une compréhension fluide des événements : pas de recul, pas d’éclaircissements sur certains points denses. De plus le film est desservi par un lettrage peu valorisant, dans les génériques et pour les intertitres, avec de grosses lettres jaunes dignes d’une vidéo des années quatre-vingt.

Mais, hormis ces critiques formelles, la qualité principale de Jeune Cinéma est de nous rafraîchir la mémoire sur la grande énergie de l’époque et sur une vraie démocratisation de l’acte de filmer, utopie des années soixante-dix, pour un cinéma en phase avec les débats profonds de la société.

Francis Guermann
Jeune Cinéma n°424-425, septembre 2023

1. Cf. les comptes rendus parus dans la revue Jeune Cinéma  : Hyères 1967 ; Hyères 1969 ; Hyères 1971 ; Hyères 1978 ; Hyères 1981 ; Hyères 1982.

Jeune Cinéma. Réal, sc, mont : Yves-Marie Mahé ; mont : Y.M.M. & Nathalie Vignères ; mu : Thierry Müller (France, 2022, 84 mn). Documentaire.