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N’attendez pas trop de la fin du monde (2023)
de Radu Jude
publié le mercredi 27 septembre 2023

par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°424-425, septembre 2023

Sélection du Festival international du film de Locarno 2023
Prix du Jury

Sortie le mercredi 27 septembre 2023


 


Au cours d’un casting la faisant passer d’une maison de personnes handicapées à l’autre pour un clip d’entreprise, Angela se filme et incarne, via faceswap, un homme vulgaire et misogyne qui relate sa fausse vie sexuelle à ses abonnés.


 


 

En structurant essentiellement son film par le parcours de son héroïne, entrecoupé d’images classiques de l’ère Ceaușescu - un film qui est pourvu de la même structure narrative et qui suit le parcours d’une chauffeuse de taxi autonome -, tandis que l’ultime partie de l’œuvre est le tournage du clip, Radu Jude observe une tranche de la société roumaine.
Chaque entretien d’Angela est ainsi utile pour montrer la pauvreté des gens, leur abandon, mais aussi l’apathie et l’atomisation de la communauté nationale. Du fait de la caractérisation des personnages (les classes, populaires comme huppées, sont racistes et ne cherchent pas à se rebeller contre un système dont ils veulent surtout tirer parti), Radu Jude évite tout misérabilisme.


 


 

Et du fait de l’effet miroir créé par le montage avec l’utilisation du classique roumain, un film qui montre une société et un féminisme idéalisés, l’auteur renforce l’aspect désabusé et l’attitude passive de toutes les personnes filmées. Le caractère fragmentaire de la société est transmis esthétiquement par le choix de multiplier les formats de cadres et de mélanger divers types d’images en passant régulièrement du noir & blanc à la couleur.


 


 

Un noir & blanc dont le fort contraste fait écho aux contrastes culturels d’une société roumaine où l’omniprésence des nouvelles technologies parachève la fragmentation spatiale en créant des fenêtres sur un monde abstrait, ou en manipulant la réalité à satiété. Un usage qui va dans le sens des pertes de repères, comme de goût, des individus et qui est mis en valeur par la bande sonore, où se succèdent des musiques diégétiques (à travers la radio) dont le but est de faire du bruit pour éviter de s’endormir. La dernière partie de l’œuvre, où une famille se fait maltraiter pendant qu’elle livre son témoignage, interroge sur le rôle du cinéma à l’époque actuelle.


 


 

Là où, par le passé, il était utilisé comme un instrument de pouvoir utile à cacher la vérité d’une dictature en promouvant une idéologie, il est ici dénoncé comme instrument de pouvoir utile pour dissimuler le vrai sans plus désormais proposer d’idéal. Cette interrogation est aussi plastique. Le plan séquence employé ici est montré comme un artifice d’autant plus redoutable qu’il donne une fausse impression de réel, à l’inverse du reste de l’œuvre qui, par son approche composite, se rapproche plus du vrai.
N’attendez pas trop de la fin du monde est un grand film baroque au ton acide, à la limite de la misanthropie. Il dénonce avec une radicale intelligence les affres de la société roumaine, tout en questionnant son histoire et en ridiculisant les mensonges, présents comme passés.

Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma n°424-425, septembre 2023


N’attendez pas trop de la fin du monde (Nu astepta prea mult de la sfarsitul lumii). Réal, sc : Radu Jude ; ph : Marius Panduru ; mont : Catalin Cristutiu ; mu : Jura Ferina et Pavao Miholjevic. Int : Nina Hoss, Uwe Boll, Katia Pascariu, Sofia Nicolaescu, Ilinca Manolache, Dorina Lazar, László Miske, Ovidiu Pirşan (Roumanie-France-Luxemboug-Croatie, 2023, 203 mn).



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