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Consentement (le) (2023)
de Vanessa Filho
publié le jeudi 12 octobre 2023

par Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 11 octobre 2023


 


Il est difficile, voire impossible, d’aller voir naïvement le deuxième film de Vanessa Folho, Le Consentement.
D’abord parce qu’un livre l’a précédé, avec le même titre, de Vanessa Springora (co-scénariste), qui a fait beaucoup de bruit en 2020 (1), et qu’il en est l’adaptation littérale. L’écrivaine y raconte ce qui lui est arrivé quand elle avait 14 ans, avec l’écrivain à succès Gabriel Matzneff (49 ans à l’époque), du 13 mai 1986 au 22 décembre 1987, une histoire d’amour qu’à sa quarantaine bien entamée, elle requalifie "d’emprise" (2).


 

Ensuite parce que, depuis une quinzaine d’années, avec les débuts hésitants de MeToo, puis l’affaire Weinstein en 2017, le féminisme historique s’est complètement renouvelé, et certains mots se sont imposés, dans les rhétoriques, sur des choses qui se faufilaient tranquillement dans les habitudes du patriarcat le plus naturel du monde, harcèlement, emprise, sidération, consentement... et le juste concept de "culture du viol". Pour ce qui concerne les enfants, c’est une autre histoire, parallèle cependant. Longtemps on a considéré que puisqu’ils ne parlent pas, ou s’expriment difficilement, ils ne souffrent pas, et ce n’est que récemment qu’on s’est préoccupé de leur douleur. Pas de plainte, pas de refus, inconscience, passivité, autant d’attitudes qui autorisent. Qui ne dit mot consent, vieille devise.


 


 

Les jeunes générations des féministes n’ont aucun doute. Mais les plus anciennes sont plus circonspectes et s’interrogent. Elles n’hésitent pas entre le bien et le mal - qui, en surface du moins, peuvent se voir tout de suite -, mais plutôt sur ces zones grises et marécageuses que sont la vie sociale comme la vie de l’esprit, qui ne seront jamais l’objet de sciences exactes. Elles les ont vu surgir dans les années 60, ces sciences humaines, par exemple la psychologie sociale qui étudie l’influence. Elle savent que même les évidences (et la Nature) ont une histoire (et pas seulement des modes), l’amour par exemple (3), à plus forte raison les mœurs, et cela dans chaque civilisation.


 


 

Et si elles n’ignorent pas l’éveil précoce des sexualités, ou les esclavages des passions quel que soit l’âge, elles savent aussi que chaque individu a des talents de résistance ou d’obéissance aux éventuels prédateurs, qui lui sont propres, et qui se révèlent aussi à des âges divers. Par ailleurs, aujourd’hui, la fascination de Gabriel Matzneff pour l’extrême jeunesse, "qui s’étend de la dixième à la seizième année qui me semble être le véritable troisième sexe", est, sinon claire et établie, du moins audible, au moins comme opinion.


 

Et puis ces générations plus anciennes ont appartenu aux vagues de "libération" post-Mai 1968, et aux revues qui les accompagnaient, comme la revue Recherches du respecté Félix Guattari (4). Elles ont lu Tony Duvert ou René Scherer, et adhéré à ce qu’affirmait Guy Hocquenghem, à savoir que "la lutte des classes passait aussi par le corps" et que "les questions de sexualité relevaient du politique et non du privé".


 

Elles ont vu aussi ces messieurs-dames de l’intelligentsia du tout-Paris pétitionner, se tromper, se raviser, mus, comme tous les groupes sociaux, par des lois sociologiques spécifiques et non par des consciences individuelles indépendantes. Heureusement que, comme balise et comme référent, face aux fluctuations sociétales, il y a des lois, même si ce sont des emplâtres artificiels et variables, qui viennent après les faits, une fois qu’ils sont devenus "divers", plutôt qu’avant, préventivement (5). Heureusement qu’il y a les dénonciations, même tardives.


 


 

Qui va voir Le Consentement de Vanessa Filho va donc enrichir des positions préconçues avec des pièces au dossier déjà abordées, et non pas découvrir un nouveau récit.
Un premier malaise vient de ce que Kim Higelin, censée avoir 14 ans, fait largement ses 22 ans, ce qui met en cause justement cette malléabilité supposée de l’adolescence. Quant à Jean-Paul Rouve, même avec sa tête rasée, il a du mal à atteindre à la perversité du dandy qu’était alors Gabriel Matzneff.


 

Il faut aussi noter que, dans le film, l’univers de l’édition, complice à l’époque, est à peine dessiné, alors même que le contexte est un élément capital de toute emprise.
Enfin, si le livre ne livrait que les initiales du "pédophile", le film, lui, évoque explicitement l’écrivain (alors qu’il y a enquête et futur procès en cours). C’est dommage, cela réduit un peu le propos à un fait-divers, alors qu’il s’agit d’un phénomène qui ne s’arrête pas à l’auteur en question. En faire un personnage de fiction lui aurait donné le caractère exemplaire, et, peut-être, des définitions et des connotations plus précises aux mots nouveaux. Le film aurait pu devenir une sorte de manifeste, nécessaire aux nouvelles normes de la lutte contre un patriarcat, toujours dominant sur la planète (parfois extraordinairement cynique), mais vacillant, du moins en Occident.
Le film abordant correctement le sujet, tel celui de Louis Malle, La Petite (Pretty Baby), il y a 45 ans (6), et non pour suivre le courant dominant actuel, reste à faire.

Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Vanessa Springora, Le Consentement, Paris, Grasset, 2020.
Cet ouvrage a précédé La familia grande de Camille Kouchner, paru en 2021, au succès comparable dans la catégorie des interdits révélés.

2. Elle le dit elle-même : l’obtention du Prix Renaudot Essai en 2013, par l’écrivain pour Séraphin, c’est la fin ! (Journal 1964-2012) n’est pas étrangère à cette décision de donner sa version des faits.

3. Quand Denis de Rougemont écrit L’Amour et l’Occident, en 1939, et déclare qu’il date du 12e siècle, ça fait du bruit.

4. On peut constater que sur le site de la revue Recherches, le n°37 de 1979 a carrément disparu. Les temps changent.

5. En avril 2021, le Parlement a décidé de fixer le seuil de consentement sexuel à l’âge de 15 ans.

6. Cf. "Entretien avec Louis Malle", Jeune Cinéma n°184, novembre 1987.


Le Consentement. Réal : Vanessa Filho ; sc : V.F., Vanessa Springora & François Pirot ; ph : Guillaume Schiffman ; mont : Marion Monestier ; mu : Olivier Coursier & Audrey Ismael. Int : Kim Higelin, Jean-Paul Rouve, Laetitia Casta, Élodie Bouchez, Lolita Chammah, Anne Loiret, Marie Rémond, Anne Benoît (France, 2023, 118 mn).



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