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Lisbonne Story (1994)
de Wim Wenders
publié le jeudi 26 octobre 2023

par Hélène J. Romano
Jeune Cinéma n°233, septembre-octobre 1995

Sélection officielle Un certain regard du Festival de Cannes 1995

Sorties les mercredis 7 juin 1995 et 25 octobre 2023


 


Dans ses deux derniers films, Jusqu’au bout du monde (1991) et Si loin, si proche (1003), notre cher Wim Wenders, qui se posait depuis un certain temps la question du renouvellement de son langage cinématographique, avait fait des tentatives assez aventureuses et confuses. Avec Lisbonne Story, il repose cette question, directement cette fois, par la démarche de ses personnages, de manière moins ambitieuse, plus proche du mode de pensée européen et finalement plus attachante.


 

L’idée de l’Europe en train de se faire - ce qui surgit dès la première partie du film, où l’on voit les frontières disparaître - nous concerne de façon immédiate. Quoique, si les cultures sont proches, elles ne sont pas pour autant similaires, et la question de faire un cinéma européen reste délicate. Ce tâtonnement est au cœur du film, même s’il n’apparaît que progressivement et plutôt vers la fin de l’histoire… On pourrait dire que celle-ci ferait un excellent roman, comme on dit souvent d’un bon roman qu’il ferait un excellent film.


 


 

Comme la plupart des œuvres de Wim Wenders, Lisbonne Story est à la fois un voyage géographique et intellectuel. Tout part, cette fois, d’une carte postale au message succinct que reçoit Philip Winter (Rüdiger Vogler, fidèle interprète de nombreux films) de son ami cinéaste Friedrich Monroe (Patrick Bauchau). En gros, "Suis à Lisbonne pour tournage, viens dès que possible faire le son". Et voilà Winter installant tout son matériel dans sa vieille bagnole, traversant l’Allemagne, la France, et une partie de l’Espagne jusqu’au Portugal, une jambe dans le plâtre et l’esprit complètement disponible.


 


 

Après un voyage plein de péripéties (mais sans grand intérêt cinématographique), Winter arrive à Lisbonne et trouve la maison vide. Là commence une période d’attente et de découverte. La solitude est fructueuse, lui enseigne le livre de son ami Fernando Pessoa - le grand penseur lusitanien prend ici une dimension qui fait partie intégrante de la démarche de Winter, parallèle à celle de son ami Friedrich. Il est un vecteur de son cheminement intellectuel. Sans le savoir, il se trouve embarqué dans la même quête que lui, révélée à la fin du film.


 

En attendant, il fait la connaissance des petits voisins, une bande de gosses touche-à-tout, fort éveillés, et qui ne se gênent pas pour le filmer, lui, en vidéo, retournement des choses qui le transforme en objet au lieu de sujet, un drôle de petit jeu exaspérant. Et il découvre, dans l’appartement d’à côté, un groupe de musiciens assez extraordinaires - rien moins que le groupe Madredeus, dont la sublime et modeste chanteuse, Teresa Salgueiro, à la voix de cristal rocailleux, le conquiert immédiatement.


 

Son exploration de la ville s’élargit peu à peu, il part à la découverte, avec son micro d’ambiance, captant les bruits de la rue : trams, rémouleur, ménagères au marché ou à la lessive, et l’agreste musique qui flotte partout, le saudade qui ramène l’être au plus profond de ses racines. Puis, avec la découverte de la cassette tournée par Federico (comme l’appellent les gosses) où celui-ci livre ses réflexions et ses doutes, il comprend bien des choses. Il y a là un moment culminant où il vit à fond sa solitude, comblée par ses découvertes personnelles. Le montage de phrases de Friedrich qui se superposent en off à la vision de la ville, les docks, le Tage, immuable, et l’apparition inopinée de Manoel de Oliveira faisant des entrechats dans une ruelle, est un vrai bonheur.


 


 

Finalement, la découverte du cinéaste et le discours qu’il tient sont la clé d’une histoire sous-jacente, la recherche d’un nouveau mode d’expression, recherche à laquelle s’attache Wim Wenders depuis L’État des choses (1982). Tout le film est attente, construit vers cet aboutissement. Aussi bien, le procédé employé pour donner une réponse au questionnement du cinéaste - la sympathique scène-pirouette où le preneur de son fait entendre sa réponse par bande enregistrée, sur le terrain vague - est volontairement léger.


 

On aurait aimé que le film restât sur cette ellipse, sur le message de Winter, tout simplement "chercher des images nécessaires". La dernière scène des deux comparses parcourant la ville relance le sujet sans vraiment laisser libre cours à l’imagination, ces images réduisent plus le projet qu’elles ne lui donnent de l’essor. Mais dans l’ensemble l’impression dégagée est celle de l’optimisme.

Hélène J. Romano
Jeune Cinéma n°233, septembre-octobre 1995


Lisbonne Story (Lisbon Story). Réal, sc : Wim Wenders ; ph : Lisa Rinzler ; mont : Peter Przygodda, & Anne Schnee ; mu : Jurgen Knieper & Madredeus. Int : Rüdiger Vogler, Patrick Bauchau, Manoel de Oliveira, Canto e Castro, João Canijo (Allemagne-Portugal, 1994, 100 mn).



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