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Million Dollar Hotel (the) (2000)
de Wim Wenders
publié le mercredi 25 octobre 2023

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°261, avril 2000

Sélection officielle en compétition de la Berlinale 2000
Ours d’argent

Sorties les mercredis 15 mars 2000 et 25 octobre 2023


 



The Million Dollar Hotel est dédié aux épaves en tous genres, alcoolos, junkies déglingués, nichés dans le vieux bâtiment qui a connu, comme eux, des jours meilleurs. La caméra de Wim Wenders parcourt l’espace à la fois éclaté et ramassé, coincé par ses échafaudages et ouvert à tous vents, une termitière pour has been, un sujet de kammerspiel.


 


 

Une trame arachnéenne relie les deux histoires, celle de Tom-Tom, débile léger amoureux fou d’Eloïse, une putain évanescente, et celle de Skinner, le grand détective. L’un, sur sa planche, glisse en apesanteur d’étage en étage, ami de chacun et confident discret : Ariel dans l’asile de nuit. L’autre, taillé à coups de serpe, est un bloc entêté, qui se fraie son chemin dans la jungle de l’hôtel à coups de gueule et de poing. Il enquête sur la mort d’un certain Izzi, tombé du dix-huitième étage.


 


 

Construire une histoire, ménager des coups de théâtre, tout clarifier en fin de parcours n’est pas le fort de Wim Wenders. Le bout du monde est encore loin, Alice, le gardien de but, les frôleurs de frontières n’atteignent jamais le terminus. On s’embrouille un peu dans les détours du polar, dans les identités des Izzi, Geronimo et Jésus, et l’escroquerie aux tableaux vrais qui recouvrent les faux reste nébuleuse.


 


 

Ce qui fascine et captive, ce sont les images qui traduisent ce que Wim Wenders appelle ses "visions". C’est aussi, selon le bout de la lorgnette, la manière dont il réduit à la dimension d’individus les types qui relèvent du genre, tout en les doublant des ombres immenses des mythes américains. La caméra plane autour des gratte-ciel de L.A. et fonce telle une mouette, cible sa prise, une ruelle sombre, puis remonte le long de la façade décrépie pour saluer le beau déploiement d’un fronton métallique et lumineux, Million Dollar Hotel, enseigne de l’hôtel et titre du film. L’ouverture est encore plus belle que celle des Ailes du désir, car elle annonce tout le sens et le mouvement du film.


 


 

Une autre vision est l’apparition de Skinner, Mel Gibson en créature de Frankenstein. Une démarche mécanique, le corps corseté, c’est aussi une métaphore de l’Homme Téléguidé, pourvu par ses maîtres d’une gamme de "jeux" dont il dispose pour contrer l’adversaire. La confrontation entre Skinner et les hôtes de l’hôtel est une source rafraîchissante de gags nonsensiques ; langagiers, avec Dickie, qui se prétend un des Beatles qu’on aurait effacé des photos-souvenirs, et qui répond "musique" quand Skinner questionne sur "le crime". Le gag devient visuel quand, assis en lotus, il menace d’inondation les locataires plus préoccupés de tuyauterie que d’enquête policière.


 


 

Quand une porte s’ouvre, comme un placard chez Woody Woodpecker, cela peut donner un amoncellement de livres chez la putain, ou une composition postmoderne faite de porte-manteaux en équilibre chez Tom-Tom.


 


 

Tout ce monde jeune ou vieux est l’occasion pour Wim Wenders de retrouver des acteurs oubliés : Bud Cort en ex-agent hollywoodien ou Gloria Stuart en dealer. Des courtes performances succulentes dont la plus stupéfiante est celle des trente secondes où Tim Roth, l’énigmatique Izzi, juste avant le grand saut, sourit à Tom-Tom. C’est comme un avant-goût du plongeon final qui boucle le mouvement circulaire de Million Dollar Hotel.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°261, avril 2000


The Million Dollar Hotel. Réal : Wim Wenders ; sc : W.W., Nicholas Klein & Bono ; ph : Phedon Papamichael ; mont : Tatiana S. Riegel ; mu : Jon Hassel, Bono, Daniel Lanois & Brian Eno. Int : Jeremy Davies, Milla Jovovich, Mel Gibson, Jimmy Smits, Amanda Plummer, Gloria Stuart, Bud Cort, Tim Roth (Allemagne-Grande-Bretagne-USA, 2000, 120 mn).



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