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Enlèvement (l’) (2023)
de Marco Bellocchio
publié le mercredi 1er novembre 2023

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°423, été 2023

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 2023

Sortie le mercredi 1er novembre 2023


 


Le dernier film de Marco Bellocchio, L’Enlèvement, confirme sa place éminente de chroniqueur de l’histoire italienne. Le cas d’Edgardo Mortara, enfant juif de 7 ans, arraché à sa famille en pleine nuit à Bologne en 1858, est largement documenté, à travers le procès intenté par le père et la communauté juive, et les protestations internationales qui suivirent.


 


 

Le film établit une chronologie scrupuleuse des faits, affichant les dates des événements sur une période de vingt ans, jusqu’à la mort en 1878 du pape Pie IX, autre personnage central du film. Chronique, chronologie, deux piliers essentiels du film, car il convient d’abord de souligner combien la mécanique du récit importe dans une telle entreprise de reconstitution. Le destin du jeune Edgardo est tellement lié au contexte historique italien et à la papauté en train de perdre ses territoires que le dosage de tous ces éléments est primordial.


 

L’enlèvement du jeune garçon amorce une prise de possession de son esprit et de ses sentiments. Les étapes s’organisent autour d’une mise à l’écart dans une maison des catéchumènes et de son dortoir, de méthodes subtiles pour abstraire les jeunes reclus de leur culture juive, de leurs attachements familiaux. Et pour les faire entrer dans une nouvelle foi, de nouveaux dogmes, la figure paternelle du pape veille personnellement sur les enfants. Scènes terribles de la partie de cache-cache dans les jardins du Vatican au cours de laquelle le pontife prend Edgardo sous sa soutane, ou celle où il le prend sur ses genoux, qui ne peuvent que faire penser à ce que l’Église a dissimulé si longtemps.


 

Pour montrer l’horreur de ce processus d’appropriation de l’enfant, Marco Bellocchio installe un climat sombre qui passe par le choix de lumières faibles, qui renvoient à toute une tradition picturale religieuse. Il invente des figures symboliques fulgurantes : le cauchemar du pape entouré de rabbins venus le circoncire, Edgardo qui monte sur un autel pour retirer les clous qui maintiennent le Christ en croix, lui rendant ainsi sa liberté. On reste admiratif devant la manière de restituer Rome en un plan, montrant une ville hérissée de campaniles et de coupoles et d’un autre côté le quartier juif délabré sur les bords du Tibre.


 

Également devant la façon de traiter deux faits historiques : l’explosion qui ouvre une brèche le 20 septembre 1870 dans l’enceinte du Vatican, au niveau de la Porte Pia, et la mort de Pie IX, dont le cercueil est emmené à la basilique San Lorenzo. Le convoi est assailli par une foule hostile, essayant de jeter le cadavre dans le fleuve, aux cris de "Al fiume, Papa porco". Les derniers textes résument ce que fut la vie d’Edgardo, devenu prêtre et mort à Liège en 1940. C’est à ce moment que démarre la musique finale que l’on conseille au spectateur d’écouter jusqu’au bout, tant elle exprime dans sa force opératique la tristesse d’un destin, d’une vie sacrifiée.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°423, été 2023


L’Enlèvement (Rapito). Réal : Marco Bellocchio ; sc : M.VB. & Susanna Nichiarelli ; ph : Francesco Di Giacomo ; mont : Francesca Calvelli & Stefano Mariotti ; mu : Fabio Massimo Capogrosso. Int : Paolo Pierobon, Fausto Russo Alesi, Barbara Ronchi, Enea Sala (Italie-France-Allemagne, 2023, 125 mn).



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