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Portraits fantômes (2023)
de Kleber Mendonça Filho
publié le mercredi 1er novembre 2023

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle Séances spéciales du Festival de Cannes 2023

Sortie le mercredi 1er novembre 2023


 


Kleber Mendonça Filho entrelace subtilement un récit à la première personne avec l’histoire d’une ville et de ces cinémas, aujourd’hui délabrés ou voués à disparaitre. Le réalisateur s’adresse directement au spectateur à travers un texte poétique murmuré plutôt que dit, ayant pour thème amour de sa cité natale, Recife, et passion pour le Septième art. Le réalisateur a été, dès l’enfance, cinéphile avant de se consacrer à la critique, à la programmation et à la réalisation de courts métrages puis de longs.


 

Portraits fantômes est en trois actes. Le premier est dédié à l’appartement de son enfance, dans le quartier de Setubal. Y est évoquée sa famille et, plus particulièrement, la figure maternelle. Dans ces pièces dont on découvre tous les recoins, chaque chose est empreinte d’une valeur sentimentale. La seconde partie, de loin la plus consistante, se déroule tout en extérieurs. Nous voyageons au centre du Recife d’hier et d’aujourd’hui, à travers des films en noir et blanc tremblotants, des images en Super 8 prises par lui où il apparaît nettement plus jeune, des photographies patinées, des dessins de l’auteur et des plans tournés récemment.


 


 


 

Le thème baudelairien de "la ville qui change" est omniprésent, comme celui de la mélancolie face aux ravages de la modernité. Le film se clôt, de nuit, par une promenade en Uber dans les rues désertes, éclairées au néon, uniquement flanquées de supermarchés. Le cinéma est lié au lieu - non à sa nature artistique ou industrielle -, un peu comme dans Cinema Paradiso de Giuseppe Tornatore (1988) ou Good Bye, Dragon Inn de Tsai Ming-liang (2003). Les édifices l’ayant constitué sont évoqués par la magie de leurs noms : le San Luiz, l’Art Palátio, l’Urbanus, le Moderno, le Veneza…


 


 


 


 

La caméra s’attarde sur chaque façade tandis que la voix de l’auteur rappelle leur histoire. Des photos d’époque présentent ces majestueuses salles. Le cas échéant, la caméra en explore les entrailles, jusque dans la salle de projection. Nous faisons connaissance avec un personnage ayant longtemps officié dans cet espace surchauffé : le projectionniste, Monsieur Alexander. Sous la dictature, il s’était permis de répondre au policier venu confisquer un film censuré : "Parfait. Comme ça, je pourrai rentrer plus tôt".


 

Le cinéma est considéré comme une attraction et une distraction populaires. Portraits fantômes montre les foules sortant des salles obscures. Recife a eu, comme Sao Pãulo, son UFA-Palacio où étaient projetés, de 1936 à 1942, les films provenant tout droit de l’Allemagne nazie. Les salles de ciné sont aussi des "lieux de bienveillance", nous dit Kleber Mendonça Filho, qui vouent un "culte à Hitchcock, à Welles". D’ailleurs, à Recife, certaines d’entre elles ont été transformés en temples évangélistes.


 


 

Étonnamment, l’idée de vénération de la star de cinéma est quasiment absente du film. On y entrevoit Tony Curtis et Janet Leigh ainsi que de Sônia Braga, l’héroïne de l’impérissable Dona Flor et ses deux maris de Bruno Barreto (1976), que Kleber Mendonça Filho fit intervenir dans Aquarius (2016) et Bacurau (2019). Il préfère les "cinglés du cinéma", fétichistes et collectionneurs d’affiches et de revues. À l’instar de ce docker qui vend sur les quais ses trésors, disposés à même le pavé. Comme pour justifier le titre du film, la figure de Fantômas y apparaît à deux reprises.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe


Portraits fantômes (Retratos Fantasmas). Réal, sc : Kleber Mendonça Filho ; ph : Pedro Sotero ; mont : Matheus Farias ; mu : Tomaz Alves. Avec : Sonia Braga, Tony Curtis, Kleber Mendonça Filho, Janet Leigh (Brésil, 2023, 93 mn). Documentaire.



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