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Pierre, Feuille, Pistolet (2023)
de Maciek Hamela
publié le mercredi 8 novembre 2023

par Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection ACID au Festival de Cannes 2023

Sortie le mercredi 8 novembre 2023


 


Février 2022, Maciek Hamela est volontaire pour transporter les réfugiés ukrainiens à travers leur pays. En accomplissant son devoir et en ne quittant pratiquement jamais son van, il les filme. Ce faisant, il capture deux choses : l’humanité de ses passagers et l’image de la guerre vue d’en bas. Il enchaîne ainsi les témoignages d’individus hétéroclites, parfois sans liens les uns avec les autres, et les laisse narrer leur passé, leur vécu du conflit et, très rarement, leur possible avenir.


 


 


 

Il est à noter que l’emploi du futur disparaît de la bouche des témoins à mesure que les combats progressent et qu’ils deviennent la seule réalité de leur vie. Une dynamique irréversible qui se ressent particulièrement lorsque vient le tour des enfants de se livrer et que ces derniers réinventent candidement leur façon de jouer en y intégrant la guerre : "pierre, feuille, ciseaux" devient ainsi "pierre, feuille, pistolet"...


 


 

Visuellement parlant, le conflit est présent dans les paysages traversés, filmés occasionnellement au travers des vitres du van, et aucun combat n’est directement observable. Ainsi, Maciek Hamela représente-t-il les hostilités telles que vécues par la population ukrainienne : une forme de brouillard mortel constant qui empêche de savoir qui est où, fait quoi et quand.


 


 


 

La guerre acquiert ainsi un intéressant aspect paradoxal dans l’œuvre, car elle est à la fois diffuse, abstraite, et concrète, omniprésente. Ce procédé anti-spectaculaire permet au réalisateur d’éviter de glorifier les combats et de ne pas faire de cette tragédie une distraction. La radio du van ponctuellement allumée relate certains événements, ce qui permet de saisir tout de même un peu la chronologie de ce que l’on voit et, ainsi, de renforcer la structure narrative du film. Et ce qui en amplifie la puissance émotionnelle.


 


 

Très peu de musiques sont présentes et ces dernières ne sont quasi exclusivement employées que sur des images de l’environnement. Une rareté qui permet de focaliser l’attention du spectateur sur la parole et les silences des personnages et de l’immerger avec efficacité dans le van. Cette immersion est accentuée par l’emploi d’un seul type de plan pour filmer les passagers : frontale et à la courte focale. L’usage de cette optique permet de clore d’autant plus l’espace dans lequel sont assis les voyageurs et de transmettre avec efficacité un sentiment de claustrophobie, d’angoisse, au public.


 


 

La richesse de Pierre, Feuille, Pistolet réside enfin dans la dimension symbolique de son dispositif. Car, en filmant tel qu’il le fait, des individus aux repères réduits à néant, en mouvement perpétuel, en exil sur des routes anonymes sans savoir quel peut-être la destination, l’auteur représente les sévices universels et intemporels de tous conflits. Plus qu’un documentaire informatif, Pierre, Feuille, Pistolet est une véritable œuvre cinématographique de grande qualité. L’urgence dans laquelle elle a été réalisée ne l’a jamais empêchée d’avoir de superbes enjeux esthétiques.

Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma en ligne directe


Pierre, Feuille, Pistolet (Skad dokad) aka In the Rearview. Réal, sc : Maciek Hamela ; ph : Yura Dunay, Wawrzyniec Skoczylas, Marcin Sierakowski & Piotr Grawender ; mont : Piotr Ogiński ; mu : Antoni Komasa-Łazarkiewicz (Pologne-France-Ukraine, 2023, 84 mn). Documentaire.



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