À Bangui, Rafiki Fariala filme ses trois compagnons, Nestor, Aaron et Benjamin, durant leur parcours universitaire et l’année qui suit ce dernier. La caméra au poing de l’auteur immerge ainsi le public avec simplicité au cœur de cette petite bande aux ambitions démesurées (l’immersion est accentuée par l’absence de musiques extra diégétiques).

À mesure que le film progresse et que chacun voit le mur des réalités heurter son ambition, la bande éclate et se disperse. La solitude des personnages, alors uniquement unis par la démarche du réalisateur, donne à l’œuvre un ton profondément mélancolique. Cette mélancolie est accentuée par le fait qu’en suivant le destin de chacun l’auteur montre indirectement, et avec subtilité, la réalité et les multiples travers de la Centrafrique qui handicapent l’épanouissement de toute sa jeunesse.

Sont ainsi abordées la question de la redistribution de la richesse et celle du féminisme, aussi bien que celle du poids des traditions et de la corruption. La force du film réside dans la description de la normalité d’étudiants centrafricains - quel étudiant dans le monde n’a pas connu la difficile association des études et de la précarité ? -, tout en montrant les spécificités d’un pays corrompu qui, ironiquement, empêche l’émancipation pour laquelle ils étudient. Ce dernier aspect est notamment matérialisé par le violent contraste qui émane de la différence entre les discours subtils d’étudiants cultivés citant aisément Adam Smith ou Émile Durkheim, et le milieu dans lequel ils évoluent.

Dans ce monde, tout immeuble est décrépi, les routes sont essentiellement faites de boue, et la pauvreté suinte à chaque carrefour. Mais malgré l’omniprésence de ce dénuement, le film ne tombe jamais dans le misérabilisme : l’auteur ne juge jamais ses personnages et met en question sa démarche à mesure que l’œuvre se déroule, en laissant ses collègues le critiquer ouvertement, ou en se mettant lui-même en scène (il interpelle son spectateur par le biais de regards caméra silencieux) ; ce qui donne une belle nature autoréflexive au film.

Enfin, la propension des protagonistes à se ressaisir en permanence, à persévérer ou à littéralement chanter leurs malheurs de façon improvisée (1) dans une langue qui mélange français et bantou, matérialise efficacement la richesse, l’énergie et la créativité mésestimées qui se trouvent en eux. Ils parviennent même à retourner leurs malheurs en un enchantement du monde qui est gage d’espoir.

Toujours juste et à bonne distance, beau tout en étant tourné avec des moyens faibles, rappelant parfois Jean Rouch, notamment lorsque le film pose la question de la morale ou de l’éthique dont devrait faire preuve tout cinéaste, Nous étudiants ! est un documentaire dont la première des qualités réside dans l’espoir qu’il incarne.

Hugo Dervisoglou
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Rafiki Fariala, né en 1997 en République démocratique du Congo, est un slammeur et un compositeur.

Nous, étudiants !. Réal, sc, ph, mu : Rafiki Fariala ; mont : Xavier Sirven, Daniele Incalcaterra, Gilles Volta, Boris Lojkine & Christian Moïse Nzengue (Congo Kinshasa-République centrafricaine-France, 2022, 82 mn). Documentaire.