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Enfant du paradis (l’) (2022)
de Salim Kechiouche
publié le mercredi 6 décembre 2023

par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 6 décembre 2023


 


Après Hafsia Herzi, découverte par Abdellatif Kechiche puis devenue à son tour réalisatrice de talent - Tu mérites un amour (2019) et Bonne mère (2021) -, voici venu le tour de Salim Kechiouche de passer derrière la caméra après un court-métrage en 2019, Nos gènes, remarqué au festival d’Angoulême. Né en 1979, il a une carrière d’acteur. Après avoir été engagé par Gaël Morel, "ce frère de cinéma", à la suite d’un casting sauvage alors qu’il n’avait que quinze ans, pour À toute vitesse (1996), il avait ensuite joué dans trois autres de ses films (1). Ont suivi également Les Amants criminels de François Ozon en 1998, Ce que le jour doit à la nuit de Alexandre Arcady en 2012, et, enfin, les deux films de Abdellatif Kechiche, La Vie d’Adèle en 2013 et Mektoub my love en 2017. Parallèlement, Salim Kechiouche a été champion de France de "kick boxing" en 1998 et vice-champion de "muay thaï" en 1999 et 2002, mais son vrai rêve, depuis l’enfance, c’est la réalisation. C’est chose faite grâce à l’influence de Abdellatif Kechiche en qui il reconnaît un maître : "Il m’a transmis, non pas une méthode, mais une manière d’aborder le jeu un peu à la manière de John Cassavetes".


 

D’où sans doute cette approche au plus près des visages dans son premier film, dont la lumière et la photo de Jérémie Attard magnifient bien sûr ces personnages un peu perdus dans le monde du cinéma, notamment la beauté solaire de Salim Kechiouche lui-même. À 44 ans, il s’installe dans la peau de Yazid, le personnage principal de son film, qui est confronté à ses souvenirs d’Algérie et à ses démons familiers comme la drogue et l’alcool.


 


 

Travaillant avec des actrices et acteurs qu’il dit aimer aussi dans la vie, comme Nora Arnezeder, Zinedine Soualem, Naidra Ayadi, Pascale Arbillot et Hassane Alili, Salim Kechiouche, pour son premier film, a mis la barre très haut. On pourrait presque affirmer qu’il nous livre déjà une réflexion, à la manière de Federico Fellini dans Huit et demi (1963) ou de François Truffaut dans La Nuit américaine (1973), sur le cinéma, à la fois comme objet de fantaisie et de beauté, mais surtout de une forme de retour sur soi et sur l’enfance et ses angoisses. En décidant d’incarner son personnage principal, il était évident que, du coup, Salim Kechiouche reviendrait lui aussi sur sa propre vie sans que l’on sache bien, ce qui est réel et ce qui est imaginaire. La dilution de sa vie personnelle dans le cinéma apparaît aussi dans le choix qu’il a finalement dû faire en décidant d’opter pour les vraies archives de sa famille - grâce au travail de montage de Luc Seuge -, où l’on voit sa mère disparue lorsqu’il avait quatorze ans, et non les films d’animation qu’il avait à l’origine choisis pour établir une plus grande distance avec sa propre vie.


 


 

Du coup, on le sent pris au piège du "paradoxe du comédien" (2), notamment dans les scènes où ses anciens potes de la cité lui demandent s’il a vraiment "sucé des bites", car, souvent, le public ne fait pas la différence entre la fiction et le réel. Salim Kechiouche est conscient de cet aspect : "Quand j’ai commencé ce métier, je voulais être totalement libre et prouver que j’étais capable de tout jouer. Je suis pudique en réalité, mais j’arrive à dépasser ma pudeur pour le cinéma. Dès qu’on touchait des personnages qui n’étaient pas fidèles à une représentation masculine, virile, hétérosexuelle, ça gênait les gens".


 


 

Ce premier film est bien une déclaration d’amour / haine au cinéma. L’acteur réalisateur est entré ici dans la peau d’un cher ami, acteur comme lui et mort accidentellement lors d’un accident de moto à la suite d’une soirée bien arrosée. Il lui rend ici un bel hommage, dans ce film sobre, puissant et qui va à l’essentiel. Quand on demande à Salim Kechiouche d’expliquer le titre du film, il déclare que c’est d’abord un hommage au film de Marcel Carné, Les Enfants du paradis (1941) que cet ami adorait, mais aussi au fait qu’il espère que cet homme torturé a pu enfin entrer au paradis.

Jean-Max Méjean
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1. Premières Neiges (1999) ; Le Clan (2004) ; Après lui (2007).

2. Denis Diderot, Paradoxe sur le comédien (1769), publié en 1830. Sa thèse est que le meilleur acteur n’est pas celui qui met le plus de lui-même dans ce qu’il joue, mais celui qui joue en gardant la tête froide. Cette pensée a inspiré la méthode de Constantin Stanislavski et celle de Lee Strasberg et de l’Actors Studio.


L’Enfant du paradis. Réal : Salim Kechiouche ; sc : S.K., Sami Zitouni & Amel Bedani ; ph : Jérémie Attard ; mont : Luc Seugé ; mu : Amine Bouhafa. Int : Salim Kechiouche Nora Arnezeder, Hassan Alili, Naidra Ayadi, Kevin Mischel, Pascale Arbillot, Zinedine Soualem, Carima Amarouche
Carima Amarouche (France, 2022, 72 mn).



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