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Munch (2023)
de Henrik Martin Dahlsbakken
publié le mercredi 20 décembre 2023

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°426, décembre 2023

Sortie le mercredi 20 décembre 2023


 


La vie du peintre Edvard Munch, de l’adolescence à la vieillesse, est filmée par Henrik Martin Dahlsbakken, jeune réalisateur norvégien qui fut sélectionné aux Oscars en 2015 pour son premier long métrage, Returning Home.
Presque quarante ans après le célèbre Munch, la danse de la vie de Peter Watkins, il tente à son tour de mettre en scène une vision plausible de la complexité du peintre sans se contenter d’un simple biopic. Il a eu à sa disposition de nombreux documents, tels que les journaux intimes et la correspondance conservés au musée Munch d’Oslo, ainsi que la biographie publiée en 1944, rédigée par l’ami du peintre, le collectionneur Rolf Stenersen qui tient un rôle important dans le film.


 

L’idée, singulière, est déjà celle de quatre acteurs différents pour interpréter les quatre âges de la vie de Edvard Munch. Ainsi Alfred Ekker Strande incarne sa jeunesse à Kristiana, puis c’est Mattis Herman Nyquist qui l’interprète en pleine maturité, dans un Berlin contemporain. Les séquences en noir & blanc illustrant son hospitalisation en 1899 dans un sanatorium, puis son internement en 1908 à la clinique du Dr Jacobson à Copenhague, sont jouées par Ola G.Furuseth, et enfin élément étonnant, le Munch âgé, visible au début et à la fin du film est interprété par l’actrice Anne Krigsvoll.


 


 

Une façon d’évoquer la vie artistique bohème et libertine de cette époque. Pari risqué de vouloir donner au temps qui passe une réalité physique naturelle, favorisant la déroute visuelle du spectateur qui ne sait plus très bien de quel moment de la vie il s’agit, ni à qui il a à faire, car le montage n’est pas obligatoirement chronologique. Ces quatre séquences agissent comme des miroirs dans un jeu de reflets ininterrompus.
Autre idée cinématographique plus répandue, la juxtaposition de la couleur et du noir & blanc. Cela permet une distanciation entre deux temporalités, le présent en couleur, et le noir & blanc imageant l’identité mélancolique de l’artiste en présence continue qui le poursuivra toute sa vie.


 


 

Troisième idée et prouesse technique, dans la séquence berlinoise, Edvard Munch et ses amis se baladent à bicyclette ; au-dessus d’eux, la voûte céleste est une vaste fresque de tourbillons de couleurs, éléments repris, multipliés et agrandis d’un tableau du peintre. L’effet est superbe. Dans le même ordre d’idées, quelques scènes d’intérieur déploient par les fenêtres des plans de tableaux, ceux au reflet peint, comme prolongation de sa pensée picturale, "La Danse de la vie", l’œuvre emblématique de son désespoir amoureux, ou encore "Le Baiser", image de la fusion amoureuse.


 


 

Le film est déroutant dans sa réalisation autant qu’il fourmille d’idées et forme autour du peintre une diversité de raisons à la profonde mélancolie qui le plonge dans la détresse et l’alcoolisme. De nombreux deuils dans sa famille bouleversent et perturbent son esprit, le film dans sa forme est également rompu, cassé, brisé, éclaté en morceaux comme autant de fragmentations de sa vie. L’idée est intéressante, mais il manque peut-être un lien narratif entre la guerre, l’occupation allemande, les nazis qui, déjà en 1937 confisquent de nombreuses œuvres de Edvard Munch aux musées allemands, les mettent en vente publique à Oslo en 1939 - avant qu’en 1940, le peintre lègue la totalité de son œuvre à la ville d’Oslo.
Le film se termine en 1944 avec l’homme vieillissant et une succession de ses œuvres. Henrik Martin Dahlsbakken a le mérite de n’avoir pas réalisé un biopic traditionnel, mais plutôt un essai autour de la souffrance du peintre, souffrance amoureuse, mentale et picturale, comme un tourbillon de possibilités de l’aborder, lui et son œuvre.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°426, décembre 2023


Munch. Réal : Henrik Martin Dahlsbakken ; sc : H.M.D., Fredrik Heyer, Mattis Herman Nyquist, Gine Cornelia Pedersen & Elvind Saether ; ph : Oskar Dahlsbakken & Päl Ulvik Rokseth ; mont : Philip C. Geertsen ; mu : Tim Fain. Int : Alfred Ekker Strande, Mattis Herman Nyquist, Ola G. Furuseth, Anne Krigsvoll, Jesper Christensen, Lisa Carlehed (Norvège, 2023, 104 mn).



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