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Exogène (2022)
de Nikolaus Geyrhalter
publié le samedi 23 décembre 2023

par Anita Lindskog
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle du Festival de Locarno 2022
Inédit en salles en France


 


Exogène (Matter Out Of Place) est un documentaire vertigineux sur l’omniprésence des détritus sur la planète et leur traitement par les humains. Déchets partout jusqu’à la nausée : sur les côtes, les montagnes, au fond des océans, dans les profondeurs de la terre…et solutions nulle part pourrait-on résumer. Nikolaus Geyrhalter (1) dit lui-même : "Les déchets sont un symbole de la manière dont l’humanité évolue, mais beaucoup plus lentement que ne l’exigerait le progrès technologique". Le cinéaste choisit, par ce documentaire, de s’adresser au public directement par les images. Le film est sans commentaires, il n’y a quasiment pas de voix off, de dialogues, et aucune musique. Un grand nombre de séquences sont silencieuses. L’image prend la parole. À chacun de donner sens et d’interpréter ce qu’il voit sur l’écran.


 


 

Le message puissant est annoncé dès la première séquence où l’on contemple un magnifique lac de montagnes dans les Alpes. Peu à peu, le plan se resserre pour montrer tous les déchets qui jonchent les berges du lac, dans lesquels se retrouvent les trois éléments : plastique, verre, métal… La caméra de Nikolaus Geyrhalter nous invite ensuite tout autour de la planète en compagnie de ces millions de tonnes de détritus. Les situations présentées sont toutes singulières, tels les balayeurs de rues dans une ville indienne, les nettoyeurs de sable après un festival dans le désert du Nevada, ou encore ces employés d’un hôtel de luxe aux Maldives qui ratissent la plage après le départ des touristes occidentaux argentés. Le point commun est bien cette dissémination permanente et quasi exponentielle des ordures, et toute l’activité humaine déployée pour faire disparaître les immenses accumulations d’immondices chaque jour.


 


 

Par de larges plans fixes, le réalisateur dessine une véritable cartographie du déchet, en passant d’un pays à l’autre : Népal, Suisse, Autriche, Albanie, Grèce, îles Maldives, etc.. Il souligne ainsi les inégalités Nord-Sud et explore les moyens de la recherche de solutions. Bien des images du film sont fascinantes et inquiétantes comme ces arbres plastiques, ces rivières de bouteilles, ces montagnes de détritus et ces plages paradisiaques touristiques nettoyées non par souci de l’environnement mais pour les besoin du commerce. Au-delà, le film est sonore, le vent souffle au travers de sacs de plastique, les canettes de verre tintent et l’eau enfouie charrie de nouveaux sons.


 


 

Le déplacement permanent des immondices sur la planète est un des thèmes que pointe le documentaire. Ces déchets sont perdus puis retrouvés, ramassés, rassemblés, entassés, enfermés, écrasés, compactés, transportés par tous les moyens : vélos, tracteurs, camions, trains, bateaux, tapis roulants et autres brouettes avant d’être brûlés, cendrés et réduits en poussières.


 


 

Ce sont les mêmes poussières que nous respirons, qui se déposent sur nos vêtements… recyclés. Cet envahissement déborde de l’écran jusqu’à l’écœurement, autant que la lenteur et le bruit mécanique de ces machines destinées à réduire en cendres et ensevelir ces immondices. Ainsi se creusent des tombes à déchets gigantesques génératrices de nouvelles topographies du globe.


 


 

Le réalisateur se glisse à l’intérieur des usines chargées de traiter et de faire disparaître tout ce que la population rejette, où, dans une séquence hallucinante, d’immenses broyeuses sont à l’œuvre. Sans prendre parti le cinéaste montre la disparité des moyens et des solutions. Les ordures continuent en effet de s’accumuler partout sur le globe. Les solutions sont encore loin d’être trouvées, et l’on ne parvient que très difficilement, tant individuellement que collectivement, à unir les forces de ceux qui cherchent à maîtriser la situation et s’engagent, tels des Sisyphes, dans une lutte qui paraît sans fin.


 


 

Ces couches de terre retournées, autrefois cultivées, sont mélangées désormais à des emballages intacts, des pneus, des piles, autant d’éléments fait de matériaux qui résistent à la consommation, au temps, et donc… à l’homme. Dans le désert du Nevada un des balayeurs dit à son équipe "Leave no trace !". Partir sans laisser de traces. C’était la philosophie de vie des Amérindiens qui consistait à ne rien laisser de son passage sur la terre et à se rendre invisible pour les générations suivantes … Mais c’était avant l’industrie extractiviste. Cela semble aujourd’hui beau et dérisoire.

Anita Lindskog
Jeune Cinéma en ligne directe

* Pour un article de référence sur l’ensemble de l’œuvre de Nikolaus Geyrhalter, cf. Jeune Cinema n°422, mai 2023.

1. Exogène de Nikolaus Geyrhalter a été présenté au Campus EHESS Marseille, au Centre Norbert Elias, le 1er octobre 2023, en clôture du Festival KinoVisions,

2. À Paris, La Cinémathèque du documentaire à la Bpi a organisé une rétrospective intégrale des films de Nikolaus Geyrhalter (6 janvier-15 mars 2023).


Exogène (Matter Out Of Place). Réal, sc : Nikolaus Geyrhalter ; ph : N.G. & Alfred Zacharias ; mont : Samira Ghahremani & Michael Palm (Autriche, 2022, 105 mn). Documentaire.



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