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Bonnard, Pierre et Marthe (2023)
de Martin Provost
publié le mercredi 10 janvier 2024

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°426, décembre 2023

Sélection officielle Cannes premières du Festival de Cannes 2023

Sortie le mercredi 10 janvier 2024


 


Martin Provost, auteur du magnifique Séraphine (2008) interprétée par Yolande Moreau, signe à présent un film sur la vie du peintre Pierre Bonnard, autour de Marthe, son épouse, qui, dit-il, occupe à elle seule presque un tiers de son œuvre. C’est donc avant tout un portrait de Marthe, incarnée par Cécile de France, parfaite dans le rôle de jeune muse du peintre, ingénue et insoumise, prenant toujours grand plaisir à se dénuder et à plonger dans l’eau. Le film se déroule d’ailleurs principalement en pleine nature, celle vibrante et lumineuse du domaine d’Orvès, situé à La Valette-du-Var, où eut lieu le tournage du film.


 


 

La difficulté d’un tel film est de vouloir retracer une vie entière. Celle du peintre Bonnard pour lequel la vie a toujours été simple et facile : issu de la grande bourgeoisie, une enfance dans la maison de famille du Grand-Lemps dans l’Isère, héritée de son grand-père marchand de grains, une vie tranquille et amoureuse, cependant traversée par deux guerres. Durant la première, il est à Saint-Germain-en-Laye et travaille de 1916 à 1920 à de grands panneaux décoratifs ; lors de la seconde, écrit son biographe Antoine Terrasse, il est au Cannet "isolé par la guerre dans le midi". Le film ne donne aucune indication sur ces deux événements.


 


 

En revanche, Marthe, personnage énigmatique, rencontre Pierre Bonnard en 1893, alors qu’elle travaille chez Trousselier, un fabricant de fleurs artificielles. Elle se fait appeler Marthe de Méligny et se dit orpheline. Son véritable nom est Maria Boursin, elle est issue d’une modeste famille de menuisiers du Berry. Le choix de s’intéresser à Marthe ne manque pas d’originalité - elle-même fut peintre à un moment de sa vie, entre 1921 et 1926, sous le nom de Marthe Solange. On y apprend qu’elle participe aussi à une exposition de pastels à Paris à la galerie Drouet en juin 1924, le film en présente quelques copies.


 

Sa personnalité complexe et la dissimulation de sa véritable identité en font un personnage intéressant. Martin Provost parvient à construire une histoire romanesque, heureuse et dramatique autour de Marthe, sans tenir véritablement compte du peintre Bonnard, incarné par Vincent Macaigne, dont le portrait stupéfiant de vérité par la raideur de la silhouette, montre une certaine indifférence vis-à-vis de ce qui se passe autour de lui.


 


 

Sa peinture apparaît comme toile de fond dans plusieurs plans où on le voit continuellement peindre. On pourrait même se demander si sa présence-absence n’est pas nécessaire au scénario. L’histoire se prolonge avec Renée (Stacy Martin), jeune égérie de l’école des Beaux-Arts ; elle n’est pas la fille d’Andrée, la sœur de Bonnard, dont il fait plusieurs portraits enfant et adolescente (Renée Terrasse), elle se nomme Renée Monchaty et se suicide effectivement après le mariage de Pierre Bonnard avec Marthe en 1925. La peinture dans le film de Martin Provost semble une présence anodine, prétexte à filmer la vie d’une femme qui, certes, tombe amoureuse d’un peintre, mais dont le déroulement de l’histoire passe par les étapes ordinaires de la vie, la tromperie, la jalousie, l’éloignement, la folie, le drame, séquences cinématographiques assez réussies.


 

Les déjeuners de campagne en présence d’amis peintres, Édouard Vuillard (Grégoire Leprince-Ringuet) et Claude Monet (André Marcon) qui reste travailler au bord de l’eau, et de la célèbre Misia Sert (Anouk Grinberg) ne sont qu’apparitions habituelles autour d’un couple en vogue.


 


 

La réussite de Martin Provost réside dans la mise en scène, axée essentiellement sur la sensualité féminine de Marthe et de Renée, dont l’apothéose sera la vision des différentes versions du "Nu au bain", dont l’une sera impudemment teintée de rouge sang. Partant d’un biopic sur Bonnard, peintre "du bonheur" à la vie facile, le réalisateur évoque la vie amoureuse et tragique d’un homme et d’une femme, dont la peinture ou en tous cas quelques tableaux, servent de détonateurs à l’explosion du couple. Comme si peindre pour Martin Provost était déjà amorcer quelque chose de la vie.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°426, décembre 2023


Bonnard Pierre et Marthe. Réal, sc : Martin Provost ; ph : Guillaume Schiffman ; mont : Tina Braz ; mu : Michael Galasso ; déc : Jérémie Duchier ; cost : Pierre-Jean Larroque. Int : Cécile de France, Vincent Macaigne, Stacy Martin, Anouk Grinberg, Grégoire Leprince-Ringuet, André Marcon (France, 2023, 122 mn).



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