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Un silence (2023)
de Joachim Lafosse
publié le mercredi 10 janvier 2024

par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle du Festival du film de San Sebastian 2023

Sortie le mercredi 10 janvier 2024


 


Après neuf longs-métrages, Joachim Lafosse nous livre un dixième film de fiction tout en clair-obscur, à la fois sobre et digne sur le silence et la honte qui minent une famille depuis longtemps. Pour la belle qualité de l’image, il a fait appel pour la septième fois au directeur de la photographie Jean-François Hensgens. En tant que Belge, Joachim Lafosse s’est inspiré pour cette dernière fiction de l’affaire dite Hissel, mais aussi bien sûr à l’horrible affaire Marc Dutroux. Pourtant, le spectateur va mettre longtemps à découvrir qu’il s’agit d’un film sur un pédophile et ses secrets, ainsi que de la honte, que la famille complice - qu’elle se taise ou qu’elle tente de le hurler - doit subir. Et, à ce niveau, c’est une réussite car le film n’est pas du tout racoleur et l’horreur des actes dont le père de famille, avocat de métier en charge lui-même d’une affaire de pédophilie, va finir par être accusé n’est montré que succinctement, voire seulement suggéré.


 

Il faut dire que le film repose sur deux excellents acteurs, Emmanuelle Devos dans le rôle d’Astrid la mère, qui est sur tous les plans ou presque, et apparaissant de façon inquiétante et virtuose au tout début du film dans les regards embrumés de larmes qu’elle jette à son rétroviseur de voiture. Mais aussi, bien sûr, Daniel Auteuil qui a été le seul à accepter ce rôle difficile, on pourrait oser : casse-gueule et, d’une certaine manière, Matthieu Galoux, dans le rôle de Raphaël, son fils.


 


 

Il faut dire aussi que le film est bâti en flash-back, mais nous n’en dirons rien. En effet, Un silence, film sur la lâcheté, fait partie de ces films difficiles à analyser sans les pitcher. Contentons-nous de ne parler que de la maison bourgeoise que l’équipe est allée dénicher à Metz et qui, selon les propres dires du réalisateur, est le personnage principal du film. Et c’est un peu vrai. Il fallait une maison qui ne soit pas tape-à-l’œil, appartenant à cette bourgeoisie provinciale "qui ne déborde jamais", "où rien ne dépasse, pas bling-bling pour deux sous", en contraste de l’infamie. Et il fallait aussi une maison assez vaste pour que ce film se fasse sans champ contrechamp, ni contreplongée, qui devait rester sobre à la manière d’un film de Claude Chabrol, le spécialiste des drames et des mesquineries de la bourgeoisie de province.


 

Ce choix de sobriété, c’est ce qui fait la force, mais aussi d’une certaine manière, la faiblesse de ce film qui en dit trop peu, qui reste trop intimiste, trop ténu même s’il parvient à semer le doute et à distiller l’angoisse chez le spectateur attentif en insistant sur les silences inquiétants du père.


 

Il faudrait dire aussi un mot sur la manière dont Joachim Lafosse travaille, sans scénario omnipotent puisqu’il avoue que les dialogues se construisent avec et pour les acteurs. Et c’est en découvrant les larmes de Emmanuelle Devos qu’il a pu mieux cerner le personnage d’Astrid. Le décor construit, le réalisateur y fait répéter longuement ses acteurs avant de commencer le tournage proprement dit. Une méthode apparemment porteuse de fruits pour arriver à créer une ambiance propre à l’angoisse. "Il s’agissait d’éviter de faire sentir la mise en scène, il fallait que le récit avance à pas de loup, que la caméra circule mais qu’on ne sente pas ses mouvements", dit Joachim Lafosse.

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe


Un silence. Réal : Joachim Lafosse ; sc : J.L., Thomas van Zuylen, Sarah Chiche Matthieu Reynaert, Valérie Graeven, Chloé Duponchelle & Paul Ismael ; ph : Jean-François Hensgens ; mont : Damien Keyeux ; mu : Johann Johannsson et Ólafur Arnalds ; déc : Anna Falguères ; cost : Isabel van Renterghem & Judith de Luze. Int : Daniel Auteuil, Emmanuelle Devos, Jeanne Cherhal, Louise Chevillotte, Nicolas Buysse, Karim Barras, Larisa Faber, Baptiste Sornin, Damien Bonnard, Raphaëlle Bruneau (France-Belgique, 2023, 99 mn).



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