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Berlin 2004 I
La compétition officielle
publié le jeudi 12 mars 2015

Berlin, 5-15 février 2004, 54e édition

Jury

Palmarès

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°288, avril 2004

Le Festpiel 2004 a été d’un haut niveau.

Aucun chef-d’œuvre incontesté, mais plus de dix œuvres dans la compétition pouvant prétendre à l’Ours d’or, et autant dans les sections.
De là l’hétérogénéité des prix allant à des premiers films, au bijou cinéphilique Dopo mezzanotte de Davide Ferrario (Forum), ou au documentaire Die Spielwütigen d’Andres Veiel (Panorama).

Venus du bout du monde, ou de petites communautés locales, presque tous les films témoignaient de faits sociaux, saisis dans leurs particularités, sous couvert parfois de films à costumes, ou de comédies foldingues comme Capitalist Manifesto, Working Men of All Countries, Accumulate ! des Coréens Kim Gok et Kim Sun.

Soucieux de rendre les films plus accessibles, le festival a démultiplié les sections et les salles, réouvertes tant à l’Ouest chic qu’au fin fond de Berlin-Est.
La Poupée de Lubitsch à été présenté au Babylone derrière l’Alexanderplatz, l’Olmi-surprise, au Kurfenstendamm pour les fans de Bud Spencer.
Mais ce qui joue pour le public nuit aux journalistes…
Trois cents films présentés, cinquante à choisir, deux cent cinquante manqués.

Les heurts interculturels constituaient le thème récurrent du festival, souvent liés à des conflits générationnels, à des séparations, des quêtes de parents disparus.

La compétition officielle

Ae Fond Kiss de Ken Loach (2004)

Le film de Loach était l’œuvre la plus cohérente, pure et juste, une histoire d’amour intense, à Glasgow, entre un Pakistanais et une jeune Irlandaise enseignante de musique. La rencontre est fortuite.
Casim, pour défendre sa sœur tracassée par des lycéens demeurés, fait irruption dans la clase de Roisin ; c’est le coup de foudre. Une nuit d’amour détendue, l’espace d’un week-end, scelle leur liaison, mais Casim est fiancé à Jasmine, choisie par sa famille, ce qu’il a caché à son amie. Aux traditions familiales, à l’interdiction d’épouser une blanche, à l’impact des obligations musulmanes, Loach oppose un fondamentalisme catholique incarné par un prêtre qui fait la loi à Glasgow et menace de renvoi l’enseignante coupable du péché de chair.
On suit les souffrances de la famille pakistanaise, déjà éprouvée par les horreurs de la partition, le racisme méprisant des Écossais, l’abandon de ce qui est pour eux comme un morceau de leur terre natale, aussi nécessaire à leur survie que leur langue et leurs traditions. Quand le couple, après bien des mensonges et des tergiversations de Casim, choisit la liberté, le mariage d’une sœur est brisé, la vie du père s’écroule, et il casse à coups de hache la maison neuve édifiée après vingt ans de sacrifices.

Beautiful Country de Hans Petter Moland (2004)

Issue d’une idée de Terence Malick, et réalisé par le Norvégien Hans Peter Molan, l’histoire située au bout du monde, à Ho-Chiminhville, au Vietnam.
Le protagoniste vit une double exclusion, car il est fils d’un Américain disparu le lendemain de son mariage avec une Vietnamienne. Ce qu’il apprend de sa mère est peu de chose - son père était grand, avait des pieds énormes et brandissait ses souliers en riant.
Le film se déroule en trois temps : les exactions subies au Vietnam, un voyage d’enfer dans un bateau où sévissent des marchands d’esclaves sadiques, un parcours américain qui passe par Chinatown avant d’aborder les grands espaces du Texas. Binh, le paria, garde sa dignité et sa raideur face aux tourments et aux tentatives de corruption. Ses retrouvailles avec son père, un Kirk Douglas aveugle, donnent une dimension épique au film, éclairé par la lumière retrouvée, la simplicité d’un vie pastorale et les grands espaces blonds des champs de blé. Quelques pointes d’humour éclairent le drame, ne serait-ce que le métier de cordonnier choisi par Binh.

Gegen die Wand (Head On) de Fatih Akin (2004)

C’est un presque chef-d’œuvre qui a été acclamé en salle et en conférence de presse, et doté de l’Ours d’or. réalisé par un Fatih Akin de trente ans, le plus jeune bénéficiaire à ce jour du Grand prix.
Sa mise en scène heurtée, son jeu d’acteur excessif, ses images brutales s’accordent à la rage du personnage, à ses coups de tête contre les murs. Cahit est originaire de Turquie, Sibel, qui lui propose un mariage blanc, est une fille libre et vivante que menace de mort un frère fondamentaliste. Tous deux font partie de ce monde mélangé dont les modalités diffèrent selon les patries d’origine, mais le drame de Cahit est celui d’un homme déjanté, miné par la misère, la drogue et l’alcool, qui rate un suicide et repart à zéro ; ses éclats de violence, son impossibilité à s’exprimer en font un criminel à qui seule une passion envers et contre tous redonne vie.

Maria, llena eres de gracia de Joshua Marston (2004)

Le film, qui a obtenu Ours d’argent de la meilleure actrice, est une première œuvre colombienne.
Le déclencheur du récit est la pauvreté d’une famille où trois générations vivent au crochet d’une jeune ouvrière, exploitée et humiliée dans son travail de fleuriste, détacher les épines des roses et former des bouquets destinés à l’Europe.
La pauvreté engendre la criminalité. Maria, 17 ans, décide, contre 5 000 dollars, de faire "fa mule", c’est-à-dire de transporter vers les États-Unis, en les avalant, 700 grammes de drogue. Si finalement elle reste là-bas, c’est pour assurer un avenir meilleur à l’enfant qu’elle porte.
Un film quasi néoréaliste : les mandataires sont réguliers, presque paternels, les mules sont entraînées à avaler, à se presser l’estomac, elles sont prévenues du danger de mort si les cocons avalés se dissolvent. Le film est cru, rien n’est caché des brutalités policières, de la mort d’une mule, des défécations devant témoins. Maria est un personnage fort qui paye le prix, elle est loyale vis-à-vis des autres mules ; le statut des émigrés colombiens en Amérique est esquissé dans un personnage de femme, sœur de la mule décédée, dont elle a toujours ignoré le travail.

Primo amore de Matteo Garrone (2004)

Le film a obtenu l’Ours d’argent de la musique.
Vittorio, orfèvre et créateur de figurines minuscules à la Giacometti rencontre Sonia ; ils se plaisent, mais lui la trouve trop grosse avec ses 59 kg et la soumet à un traitement sadique d’amaigrissement. On retrouve le thème de L’Embaumeur et son séducteur monstrueux.
Le scénario a été écrit par l’auteur et son acteur, sans Ugo Chiti : il manque au film l’implantation dans Naples et Crémone, la précision dans les gestes du travail.
Le film reste abstrait et, défaut mortel dans une histoire d’amour, on ne saisit pas la vraisemblance de cette femme saine, normale, indépendante, qui se laisse détruire. Ce qui éblouit en revanche, c’est la maîtrise formelle, l’accord qui unit les glissements de la caméra sur un mur fait de trous et de grilles et la sourde note tenue d’une musique subitement devenue stridente.
L’apparition dans ce monde de fer et de pierre du buste de Vittorio coincé dans un carré minuscule, tout en haut et à gauche de l’écran fait penser au plan fameux des Plus Belles Années de notre vie, qui faisait l’admiration d’André Bazin. Le trajet parcouru depuis la simplicité d’Ospiti et les excentricités d’Estate romano est sidéral.

Die Nacht singt ihre Lieder (Et la nuit chante) de Romuald Karmakar (2004)

Hué à la séance de presse, le film est une œuvre difficile, un Kammerspiel coincé dans un trois pièces chic de Berlin-Est.
Y est observée, comme une lutte d’insectes au microscope, la décomposition d’un couple : le jeune homme léthargique, la jeune femme assoiffée de nouveau, piaffant de sortir, de s’ébrouer. On ignore quasiment tout du passé. Il est écrivain et entasse les refus des éditeurs ; elle répète vingt fois "je n’en peux plus". Insultes, menaces, reproches, caresses.
Aucune action, un jeu très distancié, des silences et des pauses. Tout se passe en variations de lumière pendant de longs travellings, une construction d’espaces-figures qui se figent en tableaux. Un mixage de musiques très complexe ; au tournage de la séquence du club de nuit - la seule sortie du huis clos -, une musique qui donne son rythme aux gestes est effacée ; une autre est enregistrée au montage.
Tout cela est expliqué par Karmakar après coup, mais mal perceptible à première vision. Reste une image splendide, celle de la cour de l’immeuble filmée de biais et de haut comme une scène de théâtre vue d’un balcon. La jeune femme regarde ses beaux-parents minuscules se tromper trois fois de portes. Un emblème des malentendus en famille, emblème aussi dans l’image d’un immeuble décrépi en bas et pimpant vers le haut d’un amour mal restauré.

El abrazo partido (Le Fils d’Elias) de Daniel Burman (2004)
Ours d’argent

Une communauté de losers vivote dans une galerie marchande de Buenos Aires. Des Italiens bruyants recycleurs d’appareils usés, un couple de Coréens et leurs gadgets exotiques, une Polonaise encore appétissante vendeuse de lingerie féminine, un Osvaldo qui ne vend rien, mais persiste. Un Péruvien transporte des marchandises pour l’aîné de la Polonaise, qui importe et exporte. Ariel, son cadet, veut partir en Pologne, mais il est secrètement hanté par la disparition de son père. "On ne quitte pas son bébé juste après sa circoncision pour jouer les héros pendant vingt ans dans une guerre de six jours".
Le projet polonais entraîne une séquence hilarante sur les grands hommes polonais selon Internet - Polanski, Jean-Paul II, Copernic et Kieslowski. L’humour juif des personnages, un rabbin tenté par les palmiers des Bahamas, la rapidité des courses d’Ariel, celle de la caméra agile mais jamais sautillante, les feintes et mensonges de la mère, allègent la pesanteur des souvenirs et la totale absence de perspectives dans une Argentine en faillite. Ici, comme souvent, se mêle au thème de la mixité culturelle le tragique des séparations.

24 degrés en hiver de Stéphane Vuillet (2004)

Vue en fin de festival, cette comédie un peu folle, pleine de gags, de poursuites et d’imprévus, a bouclé le festival en joyeuse beauté.
Comme chez Burman, tout est léger et comique dans cette histoire d’une famille espagnole installée à Bruxelles depuis la guerre d’Espagne. La grand-mère a fui le franquisme et son "Caudillo di mierda" avec son fils de 7 ans.
Ce fils joué par Jacques Gamblin se veut Belge intégral et s’obstine à parler français. Son aîné tient une agence de voyage, mal aidé par son frère légèrement abruti. Tout bascule quand se cache dans leur voiture une Ukrainienne menacée de rapatriement forcé.
Là commence le problème de "comment s’en débarrasser". Elle s’incruste, forte des lettres de son mari, grand chef chez Trois-Gros à Blankenberg. Le caractère le plus raisonnable est la petite fille de 8 ans qui flaire la faiblesse de son papa et se met en chasse pour retrouver, mais tout autre que prévu, le mari de l’Ukrainienne.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°288, avril 2004

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