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Un été afghan (2022)
de James Ivory & Giles Gardner
publié le mercredi 24 janvier 2024

par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection du New York Film Festival 2022

Sortie le mercredi 24 janvier 2024


 


Maintenant qu’il est bien vieux, James Ivory retrouve sur ses étagères les vieilles bobines muettes d’un projet de documentaire inabouti.


 


 


 

Il se souvient, il raconte. (1)
C’était au début des années 1960, comme beaucoup d’Occidentaux, il avait fait son voyage d’initiation en France, en Italie, puis en Orient, il avait découvert l’Inde, un pays pour lequel il s’était pris de passion. Il y tournait un petit film sur la peinture miniature indienne (2). "Il faisait de plus en plus chaud. Je ne pouvais pas tenir une minute de plus. On m’a conseillé d’aller dans une région plus fraîche, alors je suis parti pour l’Afghanistan". Ce sont les images qu’il y a tournées à l’époque, qu’il rédécouvre. Son collaborateur de longue date, Giles Gardner, est émerveillé par les rushs : "Ces images étaient tout de suite incroyables, très poétiques et mystérieuses".


 


 


 

C’est aussi tout un pan de sa jeunesse lointaine, vers laquelle il décide de retourner, et en 2022, d’en faire un film. Dans Un été afghan, il superpose les temps, présent et passé, ceux de l’Histoire et ceux de sa propre vie.


 

Pour le passé, cette évocation se fait en deux séries parallèles que le spectateur se surprend à percevoir comme aussi révolues, aussi mélancoliquement fanées l’une que l’autre. Les images de l’Afghanistan en paix d’autrefois, avant les Russes, avant les Américains, avant les Moudjahidine, avant les Talibans, sont saisissantes. Elles ne sont pas restaurées, et, en elles-mêmes, elles "périment" le récit. James Ivory les commente en lisant des extraits des lettres à sa mère. Notre regard semble indiscret sur cet autre temps, ces foules au travail, ces visages et ces mouvements familiers dans des espaces rudimentaires et poussiéreux. Ou même sur les Bouddahs de Bâmiyân, aujourd’hui disparus (3).


 


 

Toujours cinéaste de l’intime, le cinéaste ranime l’époque en y resituant d’autres images, plus ou moins contemporaines, de sa propre jeunesse américaine. En voix off, il évoque son parcours d’enfant dans une petite ville d’Oregon, puis d’étudiant, jeune homme sur la défensive en milieu homophobe avec, en contrepoint, la lecture des mémoires de l’empereur moghol, Babur qui aimait tant Kaboul (4).


 


 


 

L’ambiance des universités américaines de ces années ségrégationnistes parait aussi oubliée que les traces des habitants de Kaboul quand les routes n’étaient pas encore asphaltées.


 


 

Une troisième série d’images expose le présent, le travail de ce vieux monsieur calme qui nous offre tranquillement ses archives exceptionnelles dans sa belle demeure. Ainsi que les souvenirs de cette équipe rayonnante qu’il forma lui l’Américain britannique protestant, avec Ismael Merchant, l’Indien musulman comme producteur et compagnon, et avec Ruth Prawer Jhabvala, la Juive allemande comme scénariste (5). "Tous les jours, j’aimerais qu’ils soient là. Je les aime. Je suis un vieil homme maintenant. J’ai des amis proches, mais ils me manquent beaucoup".


 


 


 

James Ivory est né en 1928. On avait fait sa connaissance avec Shakespeare-Wallah en 1965 à Berlin. Puis sont arrivées ses glorieuses années 1980-1990, où il triomphait avec quelques inoubliables chefs-d’œuvre (6). Même des films mineurs de cette période avaient droit à un respect universel, comme par exemple Maurice (1987), Lion d’argent à la Mostra de Venise 1987 et nommé aux Oscars 1988. À partir du 21e siècle, le cinéaste a progressivement ralenti son rythme, et, depuis 2007, il n’avait plus réalisé de film (7). Souvent nommé aux Oscars, il en a finalement remporté un en 2018, comme scénariste (8).


 


 

Ce superbe film, comme une sorte de testament, James Ivory voyage encore pour le présenter en Europe et aux États-Unis. Il a 95 ans, ce sera sans doute son dernier. Un été afghan est juste un peu trop court.

Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe

* Un été afghan a aussi été sélectionné au Rome Film Fest 2022, au Cairo Film Festival 2022, à l’International Rotterdam Film Festival 2022, au Glasgow Film Festival 2022, au Beijing International Film Festival 2023, au Sydney Film Festival 2023.

1. Cf. le quotidien La Presse, Montréal, janvier 2024.

2. The Sword and the Flute (1959). Après son film de fin d’études sur Venise et les peintres vénitiens, en 1957, James Ivory, cherchant des gravures vénitiennes du peintre américain, James Whistler, avait découvert par hasard des miniatures indiennes, qui sont le sujet de son court métrage.

3. Les trois statues des Bouddhas de Bâmiyân, à 200 km de Kaboul, décrétés idolâtres, ont été détruites le 11 mars 2001 par les Talibans.

4. Babur (1494-1529), descendant de Gengis Khan et de Tamerlan, conquérant de l’Inde est le fondateur de la dynastie moghole. Il est l’auteur d’une autobiographie, traduite en français pour la première fois en 1871 (Maisonneuve). En réédition : Le Livre de Babur. Le Babur-nama de Zahiruddin Muhammad Babur, introduction, traduction et notes de Jean-Louis Bacqué-Grammont, iconographie choisie et présentée par Amina Taha-Hussein Okada, Paris, Les Belles Lettres, 1980.

5. Ismail Merchant (1936-2005) ; Ruth Prawer Jhabvala (1927-2013).

6. Chaleur et Poussière (Heat and Dust, 1983) ; Les Bostonniennes (The Bostonians, 1984) ; Chambre avec vue (A Room with a View, 1985) ; Mr and Mrs Bridge (1990) ; Retour à Howard End (Howards End, 1992) ; Les Vestiges du jour (The Remains of the Day, 1993) ; Jefferson in Paris (1995)...

7. The City of Your Final Destination, avec Anthony Hopkins et Charlotte Gainsbourg, réalisé en 2007, est sorti en festivals, mais n’est sorti en salles qu’en 2009, à cause de différents avec Anthony Hopkins.

8. Call Me by Your Name de Luca Guadagnino (2017).


Un été afghan (A Cooler Climate). Réal : James Ivory & Giles Gardner ; sc : James Ivory ; mont : Giles Gardner ; mu : Alexandre Desplat ; narrateurs James Ivory, Umar Aftab et Giles Gardner (Grande Bretagne, 2022, 72 mn).



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