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Daaaaaalí ! (2023)
de Quentin Dupieux
publié le mercredi 7 février 2024

par Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection Hors compétition de la Mostra de Venise 2023

Sortie le mercredi 7 février 2024


 


Salvador Dalí (1904-1989) fut incontestablement un grand artiste, mais, au long des décennies, et même de son temps, on l’a perçu surtout comme une "star", éternellement insatisfaite, dont la préoccupation principale était "d’être sur la photo", et de préférence au premier plan.
Presque en symétrique, Quentin Dupieux, toujours insouciant du côté technique de ses réalisations, et dont la hantise est de devenir "professionnel", semble aussi toujours plus soucieux de l’efficacité de ses gags que d’être perçu comme un "auteur". La fascination du cinéaste pour la star était prévisible, ces deux-là étaient faits pour se rencontrer.


 


 

On se doute que Quentin Dupieux n’avait pas l’intention de faire un biopic de Salvador Dalí et, avec cette grande idée de l’incarner sous six avatars différents, Édouard Baer, Jonathan Cohen, Pio Marmaï, Gilles Lellouche, Didier Flamand et Boris Gillot, il réalise plutôt un hommage spécial à ses dernières années. "Pour écrire et réaliser cet hommage, je suis entré en connexion avec la conscience cosmique de Salvador Dalí et je me suis laissé guider, les yeux fermés", dit-il.
Il dit aussi : "Dalí le disait lui-même, sa personnalité était probablement son plus grand chef-d’œuvre". Mais ce n’est pas pour autant qu’il a creusé, pour son film, cet aspect nietzschéen du personnage, et la prescription du grand Zarathoustra de faire de sa vie une œuvre d’art.


 


 

Parce que le sujet est très simple et quasiment élastique, il permet tous les vagabondages. Une journaliste amateure, Anaïs Demoustier, décide, avec et malgré un producteur exécrable, Romain Duris, de réaliser un documentaire sur Salvador Dalí. Celui-ci accepte le principe, et elle le rencontre plusieurs fois dans cette perspective, mais le génie trouve toujours des bonnes raisons et des exigences pour repousser la réalisation, et elle doit tout recommencer. Un jour sans fin, une interview sans fin.


 


 

À juste titre en l’occurrence, le scénario est buñuélien, dans son enchâssement de rêves, ses faux retours en arrière, venus du Charme discret de la bourgeoisie. Les détails en clins d’œil sont multiples, à L’Âge d’or (les rochers, le coup de fusil, les animaux morts par la fenêtre) ou à Terre sans pain (la chèvre) (1).


 


 


 

Si les différents Dalí en font des tonnes, ce qui est normal, ils ne sont pas tous aussi réussis les uns que les autres. En revanche, Anaïs Demoustier est excellente, contrepoint patient et ironique permanent du grand artiste nombrilique. On admire Éric Naggar, aussi bon que Julien Bertheau, acteur favori de Luis Buñuel et l’évêque-jardinier du Charme discret, ainsi que l’actrice, Catherine Schaub Abkerian, qui incarne Gala, aussi indigeste que l’originale.


 


 


 

Daaaaaali !, contrairement à Babaouo (2), n’est pas un film "surréaliste". Même si en cette année du centenaire, il nous serait doux de le penser. Et nous ne pouvons qu’applaudir à ce qu’en dit Quentin Dupieux, comme le disait déjà Pierre Naville (1904-1993), vers la fin de sa vie : c’est un mot qui ne veut plus rien dire. Aujourd’hui, tout est "surréaliste" dans la bouche des gens dès lors que c’est inattendu.


 


 

Salvador Dalí est déjà apparu dans trois films (3). On peut considérer que l’œuvre de Quentin Dupieux constitue, à ce jour, l’approche la plus réjouissante et la plus pertinente du monstre mégalo et polymorphe qu’il fut.

Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Le Charme discret de la bourgeoisie de Luis Buñuel est sorti en 1972. L’Âge d’or de Luis Buñuel (1930) a été coécrit avec Salvador Dalí. Terre sans pain (Las Hurdes, tierra sin pan) de Luis Buñuel (1932) a été censuré par la Seconde République espagnole proclamée en 1931 et tombée dans la Guerre civile à partir de 1936. Ce qui ne l’empêchera pas de s’engager à ses côtés.

2. Le scénario de Babaouo. C’est un film surréaliste ! de Manuel Cusso-Ferrer (1998) est de Salvador Dalí. Cf. Jeune Cinéma n°276, juillet 2002.

3. Un biopic canadien : Dalíland de Mary Harron (2022), où Salvador Dalí est incarné par Ben Kingsley et Ezra Miller, est inédit en France. Et deux documentaires : Dalí, l’homme qui aimait les muses de Sergio G. Mondelo (2014) ; Salvador Dalí : à la recherche de l’immortalité de David Pujol & Montse Aguer (2018).


Daaaaaali !. Réal, sc, ph, mont : Quentin Dupieux ; mu : Thomas Bangalter ; cost : Isabelle Pannetier. Int : Anaïs Demoustier, Gilles Lellouche, Édouard Baer, Jonathan Cohen, Pio Marmaï, Didier Flamand, Boris Gillot, Romain Duris, Éric Naggar, Agnès Hurstel, Jean-Marie Windling, Marie Bunel (France, 2023, 78 mn).



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