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Lundi matin (2001)
de Otar Iosséliani
publié le lundi 12 février 2024

par René Prédal
Jeune Cinéma n°274 mars 2002

Sélection officielle en compétition de la Berlinale 2002
Ours d’argent

Sortie le mercredi 20 février 2002


 


Un jour Vincent, soudeur dans une usine chimique de la banlieue lyonnaise, prend conscience que le bonheur n’est pas dans le pré de sa maison de village et décide d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. Mais les rapports familiaux du copain de Venise comme l’entrée de l’usine de Mestre sont les mêmes que chez lui : "Le thème, c’est qu’on va chercher ailleurs un bonheur qu’on imagine. C’est un film sur l’impossibilité de l’exil. Si on espère qu’on va trouver le bonheur ailleurs, on se trompe", dit Otar Iosséliani.


 


 

Lundi matin est effectivement le plus pessimiste des films du cinéaste, mais ce burlesque soft, un peu gris, est constellé aussi de pointes jubilatoires et de moments de comédie brillante, le tout pétri sur un rythme enlevé pour faire monter la pâte du quotidien en soufflet d’insoumission, et bien sûr, largement arrosé, enfumé et enchanté. Contre le mensonge et la cupidité, Lundi matin prône l’anticonformisme, vilipendant la docilité des adultes qui se contentent d’essayer de fumer à tout prix, partout où c’est interdit, et vivent seuls côte à côte sans s’adresser la parole. Vincent est, en effet, aussi mutique avec sa femme et ses enfants que dans le train face à la belle inconnue.


 

Lundi matin est un film sur les clichés - du travail, du tourisme... - que Otar Iosséliani pourlèche, polit, vernit, puis tout à coup sur-creuse (pour en sonder paradoxalement à la fois le vide et la profondeur), ou décadre (afin de les montrer autrement et, là encore, les magnifier ou au contraire les démolir). Ainsi s’élabore un univers décalé, patchwork de détails réalistes mais agencés de façon farfelue. Aux antipodes de "Heureux qui comme Ulysse... ", et de tous les chantres de trips dépaysants, Otar Iosséliani démarre avec René Clair - fluidité et légèreté du début qui décline la thématique de À nous la liberté (1931), puis vire au comique muet de situations et d’attitudes d’un Jacques Tati, pour déboucher bientôt dans une très personnelle exploration de l’essence d’un dérisoire situé bien au-delà du simple regard ironique.


 

Entre le contact avec la beauté (Venise contemplée depuis les toits) et une grinçante collection de trognes qui valent bien celles du "Mocky Circus", l’auteur traque canailles et brigands, non sans une certaine fascination pour le faux seigneur vénitien qu’il interprète lui-même, buveur de thé se faisant peindre de mensongères galeries d’ancêtres et jouant au pianiste célèbre grâce à un magnétophone et des applaudissements préenregistrés. À ce degré de démesure dans l’art de la mise en scène, le faussaire confine au génie, quoique ce portrait ne puisse être vraiment apprécié qu’en contrepoint de celui du vieil éleveur de rats travesti en dame pipi.


 

L’idée est de rentrer dans le tableau, comme le fait le plus jeune fils de Vincent qui reconstitue en live l’allégorie de saint Georges, patron de la Géorgie, terrassant le dragon en photographiant un inoffensif varan apprivoisé. Pour rompre le cercle du déroulement inexorable du quotidien qui, même s’il est joliment photographié, ne mène que du travail... au travail, par le biais illusoire d’une maison-lieu de passage, Vincent décide de freiner, de débrayer, puis de s’arrêter, pour inverser la hiérarchie des choses de la vie en cultivant la pause, le temps qui passe dans l’oisiveté, le repos, les petites joies d’une existence n’ayant pour but que les plaisirs de la liberté individuelle.


 


 

Mais l’enchaînement de ce cercle routinier est rompu sans violence, par une implosion interne et non une explosion spectaculaire, au feeling, au sentiment, jamais au nom de grands principes ni au terme de révolutions idéologiques. Otar Iosséliani hait les moralistes et autres donneurs de leçons. C’est pourquoi, si le mariage est devenu esclavage monotone pour Vincent, il apparaît inversement comme une belle promesse de félicité pour le noir valet de ferme qui emporte sa blonde épousée sur une charrette de foin. Et puis il y a les amoureux en deltaplane, les enfants qui bricolent un monde à eux, ou la mamie qui roule en décapotable cigarette aux lèvres... En somme, seule la génération-zombie des adultes semble condamnée. Reste donc de l’espoir, l’humour et la vie qui continue.

René Prédal
Jeune Cinéma n°n° 274 mars 2002


Lundi matin. Réal, sc : Otar Iosséliani ; ph : William Lubtchansky ; mont : O.I. & Ewa Lenkiewicz ; mu : Nicolas Zourabichvili, déc : Gabriel Cascarino ; cost : Cori D’Ambrogio. Int : Jacques Bidou, Arrigo Mozzo, Anne Kravz-Tarnavsky, Narda Blanchet, Dato Tarielashvili-losséliani, Pascal Aubier, Dominique Pozzetto, Mathieu Amalric (France, 2001, 120 mn).



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