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Pion du Général (le) (2022)
de Makbul Mabaral
publié le mercredi 21 février 2024

par Lilia Penot
Jeune Cinéma n°427-428, mars 2024

Sélection officielle Orrizonti de la Mostra de Venise 2022

Sortie le mercredi 21 février 2024


 


Dans son premier long métrage, Autobiography (son titre original), Makbul Mabaral ne livre pas un récit personnel mais celui de tout un pays, l’Indonésie dont les paysans se voient spoliés de leurs terres au profit d’usines, une nation qui garde les séquelles de plus de trente ans de dictature. En choisissant un adolescent comme personnage principal de son film, il nous expose un point de vue ambivalent sur ce que subit la population indonésienne.


 


 


 

On y suit le jeune Rakib, interprété par Kevin Ardilova, qui, à l’instar de sa famille, se voit obligé de servir Purna, incarné par Arswendy Bening Swara, un général à la retraite qui se lance dans la politique. Rakib, dont le père est en prison, trouve en Purna un substitut de la figure paternelle. Par le prisme de cette relation entre ces deux personnages, le réalisateur dénonce l’abus de pouvoir qu’exercent les politiciens sur les populations pauvres.


 


 


 

Leur relation est singulière. En effet, la famille de Rakib sert celle du général depuis de nombreuses générations, et une sorte de loyauté s’est installée. Pourtant cette dernière n’est jamais montrée comme acquise, et l’adolescent ne reste pas aveugle face aux agissements douteux de son mentor. À la fois perdu et rebelle, il est une figure attachante qui ne se montre pas totalement assujettie au général.


 


 

Le contrôle qu’exerce Purna sur Rakib, s’établit de manière progressive tout au long du récit. Cette emprise devient physique lors d’une scène de douche marquante, au cours de laquelle Purna brise les barrières de l’intime pour asseoir sa domination. Cette relation de pouvoir est le reflet de celle qu’entretient le peuple indonésien avec ses politiciens. C’est une population gouvernée par les mêmes dirigeants depuis des décennies, et qui recherche de nouveaux leaders. Le personnage de Purna use et abuse de son aura sur les habitants du village, qui l’écoutent et le regardent, à la fois captivés et effrayés par l’ancien général. À travers ce personnage, Makbul Mabaral met en exergue cette violence, à la fois masquée et perçue par tous, qui s’est installée, dès les premières scènes du film, avec l’attitude de Purna envers Rakib.


 


 

En tant que spectateur, on la ressent par le regard intimidant du général. Pourtant ce n’est que lorsque la violence devient physique qu’elle atteint son paroxysme. Mais le réalisateur prend le parti de ne rien nous montrer, les seules marques étant des taches de sang et des portes qui se referment sans qu’on puisse voir ce qu’il se passe. En ne faisant que suggérer la violence, il la montre de manière subtile, ce qui participe à la lente montée de la tension.


 


 


 

Avec ce film reconnu internationalement par de nombreux festivals (1) et notamment la Mostra de Venise 2022 où il a reçu le prix Fipresci, Makbul Mabaral nous fait découvrir avec justesse et sensibilité une réalité souvent inconnue en Occident.

Lilia Penot
Jeune Cinéma n°427-428, mars 2024

1. Busan 2022, Londres 2022, Marrakech 2022, Nantes 2022, Toronto 2022, Singapour 2022, Stockholm 2022, Oslo 2022, La Rochelle 2023, Hong Kong 2023...


Le Pion du Général (Autobiography). Réal, sc : Makbul Mabaral ; ph : Wojciech Staron ; mont : Carlo Francisco Manatad ; mu : Bani Haykal ; déc : Sigit D. Pratama ; cost : Anismcaw. Int : Kevin Ardilova Arswendy, Bening Swara, Yusuf Mahardika, Lukman Sardi, Yudi Ahmad Tajudin, Rukman Rosadi, Haru Sandra (Indonésie, 2022, 115 mn).



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