The Mercy Tree s’ouvre sur des images de sculptures de l’Apocalypse telles des vignettes mémorisées appartenant à un temps à l’abri du temps. Puis, c’est sous un arbre où cinq hommes se tiennent, que l’un deux est assassiné par arme à feu. Les meurtriers s’enfuient. Cette scène devient fondatrice. Une fillette qui est le personnage principal, alertée par le bruit accourt vers le corps inanimé de son père. La tombe surplombée d’une croix est érigée sous l’arbre…

Le parcours quasi expérimental que propose le réalisateur Michele Salimbeni (1) va se faire au travers de perceptions visuelles, d’images et de plans autour de Wanda, cette fillette devenue femme, qui, au long des journées de son éveil à la nuit, travaille à la ferme, nourrit les animaux, va prier sur la tombe du père ou se confie à son magnétophone, répète les même gestes et les même actions qui s’enchaînent parfois sans logique et dépourvues de sens. Le tout dans des variations imperceptibles et récurrentes qui structurent le quotidien et marquent le temps qui passe.

Ce n’est pas le retour à l’identique, le même en tant que tel qui revient. Toute la force et la grâce de la répétition, c’est la nouveauté qu’elle apporte, le retour en possibilité de ce qui a été. Cette réitération devient le thème du film et peut se lire comme une mise en abyme du cinéma lui même fait de répétitions et d’arrêts. Les images, dont certaines s’apparentent à de véritables tableaux à la beauté saisissante tant par leur épure que par le choix des lumières : vue sur les champs, le corps sur une chaise dans la salle à manger, le rituel du lever dans la chambre.

Ces plans sont toujours en équilibre sur du silence, des notes de musiques et une parole raréfiée. Les images renvoient toutes à un récit in absentia, dont elles constitueraient la trame implicite et sous-jacente. Il y a donc un récit souterrain dont toutes les images montrées à la fois dans les lieux, les corps, la lumière, les mots, seraient les signes annonciateurs d’une révélation… Il convient de souligner la rigueur formelle qui jalonne la construction du film. Les plans se répondent sans cesse, en particulier dans la vision de Wanda enfant, assise à la même table devant l’âtre que Wanda adulte, les incises où les deux se mêlent dans le même plan, révélant sa solitude. La présence des fleurs, des animaux, des champs, de la tombe sont autant de jalons poétiques d’une vie que l’arbre symbolise.

Quand la parole arrive, Wanda emprunte un magnétophone comme journal intime en livrant par des mots ses visions dramatiques telle la maison en feu, une ivresse, les corps d’un frère assis et de sa sœur gisant à ses pieds. Ces souvenirs chaotiques loin d’éclairer son récit le recouvre d’un mystère amer. De cette parole jaillissent en images des traces visibles susceptibles de relier la pensée de Wanda à son histoire et à la substance invisible d’un monde. Un monde fait de malheurs et de l’attente d’une grâce ou de cette miséricorde évoquée dans le titre.

Lorsqu’un jour, le messager lui présente des preuves de vérité (en l’occurrence des photographies), une sorte de déchirement en forme de dévoilement s’opère pour Wanda. Sa délivrance et son changement résident dans son pouvoir d’interrompre. Cette puissance d’arrêter le cours des choses par l’incandescence de son âme libérée s’exhibe au travers des derniers plans. Ce film, tel un poème, se vit comme une hésitation prolongée entre l’image et le sens. Il est une profonde réflexion sur le pouvoir de l’image la présence continue en chacun de ce flux intérieur (2) et sa possible représentation.

Anita Lindskog
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Michele Salimbeni vit et travaille à Paris depuis 2007. Il a réalisé trois long-métrages : Under-the-Sky (2008), La Louve (2020) et The Mercy Tree (2023).

2. "Le cinéma mental fonctionne continuellement en chacun de nous. Il a toujours fonctionné, même avant l’invention du cinéma, et jamais il ne cesse de projeter des images sur notre écran intérieur". Italo Calvino, Leçons américaines, 1989.

The Mercy Tree (Drzewo Miłosierdzia). Réal, sc : Michele Salimbeni ; ph, mont : Olivier Tellier. Int : Magdalena Korpas, Pinuccio Derosas, Emma Deiana, Viola Deiana (France-Italie, 2023, 77 mn).