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Base (la) (2023)
de Vadim Dumesh
publié le mercredi 3 avril 2024

par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle en compétition du Cinéma du Réel 2023

Sortie le mercredi 3 avril 2024


 


A priori, on dirait un documentaire comme les autres, dont le sujet est l’effacement programmé d’une petite société, celle des chauffeurs de taxi de l’aéroport de Roissy, et le développement d’une amertume lucide et impuissante face à ce processus.


 


 

Leur "Base", c’était une zone de stationnement pour plus de mille voitures et tous les petits espaces de vie adaptés à de longues attentes : cantines variées et joyeuses par communautés (méditerranéennes, asiatiques, africaines…), toilettes (parfois fâcheusement taguées), zones de repos, terrains de boules, de ping-pong, de jardinage, de récolte de champignons, ou de petits lapins pour faire de bonnes terrines.


 


 


 

Jean-Jacques, le genre d’ancien qui n’a jamais dû sourire, mais qui aimait bien sa vie et à qui on n’en conte pas, travaille là depuis 30 ans. Il observe, réfléchit, comprend, et fait le point : "Bientôt, il n’y aura plus de chauffeurs, ni de taxi, ni de train, ni de bus, ni non plus de jardins, ni d’écrivains. Que des fantômes et des robots guideurs". Ahmad le jardinier replante quand même quelques-uns de ses chers petits arbres en zone préservée de l’arrachage, et Madame Vong continue à faire reluire son taxi avec moins d’un litre d’eau.


 


 

C’est que le transfert de la "Base", proche de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle terminal 1, vers le nouveau terminal 3e niveau, plusieurs km à l’Est, est imminent en avril 2017. Et là-bas, outre la submersion de Uber - des concurrents déloyaux, quoi qu’en dise le Tribunal de commerce, qui démarchent ces vrais chauffeurs, connaisseurs de la région, pour tenter de les débaucher -, outre les VTC, et autres moyens alternatifs de programmation des transports, il n’y aura plus de place pour l’autogestion de leur existence : les circulations seront intégralement téléguidées, les restaurants standardisés, et les espaces contrôlés.
Ils vieillissent, ils sont tristes, toutes leurs perspectives sont en train de disparaître. Mais il ne fallait pas que le film s’achève sur le désespoir. Il se termine sur un happy end, les joyeuses retrouvailles d’Ahmad et de sa riante famille marocaine.


 


 

En réalité, ce film n’est pas un documentaire "comme les autres". Il est le résultat d’un travail, commencé en 2015, quand le réalisateur-sociologue, Vadim Dumesh, a découvert ce microcosme à Roissy, composé de communautés issues de plusieurs vagues d’immigration en France mal représentées et vulnérables. Sur cette espèce d’espace-temps isolé, très unique, comme menacé par l’extérieur, mais dont la raison d’être est la mobilité et la circulation, il a commencé par vouloir faire une recherche et un travail de catalogage et d’archivage.


 


 

D’abord considéré comme un flic ou un espion, il a mis beaucoup de temps pour s’intégrer, et pour envisager de réaliser un film documentaire correspondant à ses recherches sur les dispositifs participatifs. Après avoir compris que, dans cet espace ultra sécurisé qu’est Roissy, il ne serait jamais autorisé à trimballer des caméras professionnelles pendant des mois, il a réalisé que le smartphone pouvait être un outil idéal, simple, facile à utiliser, connecté et multipliant les points de vue.


 


 


 

Le film est donc monté à partir de vidéos prises par les chauffeurs eux-mêmes avec leurs smartphones, une douzaine de personnages principaux ou moins importants, et à partir des siennes propres, sans que celles-ci soient dominantes. C’est un immense travail de montage d’une matière très hétéroclite mais très riche, réalisé avec Clara Chapus, présente dès le début, et après de nombreux visionnages avec les chauffeurs.
Ce très beau documentaire a aussi "bénéficié" du lock-out Covid, qui a permis de filmer d’impressionnantes images de l’aérodrome déserté, évoquant une sorte de dystopie, l’avenir désolé des futurs déplacés.

Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Né en 1984 à Latvia, Lettonie, formé en sciences politiques à Riga, Stockholm, Jérusalem et Sciences Po Paris, Vadim Dumesh, a fait une thèse co-pilotée par Le Fresnoy et l’Université du Québec à Montréal : "Regard Situé : L’auteur.rice documentaire et la créativité collective à l’ère du numérique". Certains éléments choisis dans des milliers de rushes récoltés au cours des années ont d’abord fait l’objet d’une installation au Fresnoy en 2020.
La Base est son premier long métrage. Précédemment, il a réalise un court métrage, Dirty Business (2015), sur l’industrie charbonnière traditionnelle en Israël et en Cisjordanie.


La Base. Réal, sc : Vadim Dumesh ; ph : V.D., Kham Vong, Ahmed Mguiada, Jean-Jacques Papon, Vongphothong Dodurga Khampas, Santiago Bonilla ; mont : Clara Chapus (France, 2023, 72 mn). Documentaire.



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