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MK, l’armée secrète de Mandela (2022)
de Osvalde Lewat
publié le mardi 9 avril 2024

par Anita Lindskog
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle en compétition du Fespaco 2023

Inédit en France en salle


 


MK l’armée secrète de Mandela, de l’écrivaine, photographe et réalisatrice camerounaise Osvalde Lewatt, est un documentaire qui éclaire un aspect déterminant et pourtant occulté de la lutte de libération de l’Afrique du Sud du joug de l’apartheid. En effet, en décembre 1961, l’ANC (1), renonce au combat par la voie pacifique en décidant de passer à la lutte armée face à un pouvoir toujours plus répressif. C’est la création du UMkhonto we Sizwe (MK), dirigé par Nelson Mandela, et composé de jeunes révolutionnaires noirs, indiens et blancs. Étymologiquement, "uMkhonto weSizwe", en zoulou, signifie "la lance de la nation" en référence à l’arme symbole de la résistance des Africains sur leur terres.


 


 


 

Le film s’ouvre sur le chœur des vétérans MK, l’armée du peuple, qui va ponctuer par ses chants de larmes, d’espoirs et d’engagements, les témoignages recueillis au présent et la parole des anciens membres ainsi que la vision d’images d’archives pour la plupart inédites. Il a fallu quatre années à la cinéaste pour retrouver et rencontrer ces combattants afin de retracer l’histoire de la lutte armée au travers des trajectoires de chacun.


 


 


 

Ainsi, en mars 1960 une manifestation pacifiste à Sharpville contre l’extension aux femmes du passeport intérieur imposé aux hommes noirs, donne lieu à un massacre. Devant les manifestations qui se multiplient, le gouvernement instaure l’état d’urgence et interdit l’ANC et le PAC. Ces évènements constituent sans doute le facteur déclencheur de l’orientation armée de la lutte contre l’apartheid, cette insupportable ségrégation "des toilettes à la tombe" comme le rappelle un intervenant.


 


 

La branche militaire, lancée l’année suivante, fomente son premier sabotage : une coupure de courant qui prive Durban d’électricité. Ronnie Kasrils, ancien membre du haut commandement de MK et haut cadre de l’ANC, puis ancien ministre de la Défense sous la présidence de Nelson Mandela, relate sa participation en revenant sur le lieu. Cette action d’éclat du mouvement clandestin marque le début de la guérilla. Dès le début de l’année 1961, certains sont partis dans des pays amis tels l’Égypte, l’Algérie ou le Maroc, pour se former à la lutte armée. D’autres partiront pour la Chine, la Russie, la Tchécoslovaquie ou la RDA. Plus tard, ils iront à Cuba. Comme Totsie Memela, membre d’une unité d’élite, formée en Angola et à Cuba. "Nous sommes plus puissants que l’apartheid" chante le chœur des vétérans.


 

En 1962, Nelson Mandela est arrêté, et, en 1963, la direction de MK. Lors du procès de Riviona les dirigeants sont pour la plupart condamnés à la prison à perpétuité pour haute trahison. Mac Maharaj, ancien compagnon de cellule de Nelson Mandela, ancien ministre et porte-parole du gouvernement, raconte les tortures subies et sa condamnation à douze ans de prison.


 

C’est en exil que la direction de l’ANC se reconstitue et survit sous la direction de Oliver Tambo qui avait été exfiltré hors d’Afrique du Sud peu de temps auparavant pour créer des missions diplomatiques en lien avec des pays amis. "Ce qui nous anime c’est l’honneur, la dignité", précise aujourd’hui ce dernier. L’ANC installe son QG à Londres et en Tanzanie, puis à Lusaka en Zambie. Les combattants clandestins ont rejoint les premiers camps d’entraînement en Tanzanie, avant leur extension dans d’autres pays voisins comme l’Angola. Toute une jeunesse née en exil rejoint les lignes de front, et c’est le cas de Zola Maseko, fils de cadres de MK, né au Swaziland, ou encore de Andy Kasrils né à Londres.


 

Au moment où tout espoir paraît perdu, en juin 1976, éclate le mouvement des écoliers à Soweto contre l’afrikaans, la langue imposée dans l’enseignement et considérée comme une langue d’oppression. Les émeutes se multiplient dans tous les townships du pays et donnent lieu à une terrible répression avec le massacre de plusieurs centaines de personnes, et la mort en prison de Steve Biko en septembre 1977. La lutte clandestine est frappée. Salomon Malangu est le premier soldat du MK a être pendu en 1979. Ses dernières paroles résonnent encore : "Ne vous inquiétez pas mon sang nourrira l’arbre de la liberté".


 


 

Dans les années 80, l’armée secrète, multiplie les sabotages, aide activement les soulèvements, township après township, et organise des équipes d’assassinats - les équipes de refroidissements -, dont les cibles sont des policiers, des maires, les conseillers municipaux des townships accusés d’être des informateurs de la police. Le pays est en feu, l’État d’urgence est partout.


 


 

En 1985, le président Pieter Willem Botha (1916-2006 offre même à Nelson Mandela la liberté conditionnelle en échange de l’abandon de la lutte armée. Ce dernier refuse. Dudu Msomi, soldate âgée 13 ans en 1987 entre dans la guérilla et aide au passage des clandestins.


 

Dans quelle mesure ces actions ont elles pesées sur le gouvernement de Prétoria le contraignant à l’ouverture de négociations avec Nelson Mandela encore en prison ? La lutte armée a-t-elle eu un poids décisif dans l’abrogation de l’apartheid ? La libération de Nelson Mandela, en février 1990, puis celle des autres dirigeants de MK, ouvre une nouvelle période de négociations sur les conditions de sortie de l’apartheid jusqu’en 1993. À la suite de la dissolution de MK, ses membres, écartés des décisions et des destinées du pays, retournent à la vie civile. L’extrême dénuement, les addictions et la pauvreté restent le lot de bon nombre de ces combattants. D’ailleurs, le peuple vit toujours dans des taudis, n’a pas l’eau potable et boit l’eau des ruisseaux.


 

Pendant trente années, mus par l’espoir et l’engagement, une jeunesse a donné sa vie pour la cause de libération du pays et finalement a été écartée puis oubliée. Car l’histoire de la branche armée n’a pas été transmise aux nouvelles générations. Ses membres, autrefois jeunes guérilleros et aujourd’hui anciens combattants, ne sont ni reconnus, ni commémorés et encore moins aidés. Certains s’entendent même dire que leur rôle et leur apport n’ont pas été essentiels à la lutte d’émancipation. Ainsi Jabu Masina, qui est allé dans le couloir de la mort, n’arrive même pas à faire admettre ses enfants à l’école.


 

Comment souscrire à un récit national et international occidental qui passe sous silence la contribution déterminante de cette guérilla dans la chute du régime d’Afrique du Sud et dans la victoire contre l’apartheid ? Ce récit édulcoré, s’appuie sur la vision d’un Nelson Mandela tel un vieux sage pacifiste à sa sortie de prison en 1991, et ne correspond nullement à la réalité. Car il a bel et bien été un révolutionnaire à la tête d’une branche armée qualifiée de "terroriste" durant des décennies. Ne disait il pas lui même à la fin de sa vie "La non-violence n’était pas un principe moral mais une stratégie. Il n’y a aucune bonté morale à utiliser une arme inefficace". Et s’il a été un héros, c’est qu’il y a eu et il y a encore des dizaines de milliers de héros en Afrique du Sud.


 


 


 

Ce documentaire est d’abord un hommage aux "unsung heroes", ces combattants et combattantes de la dernière lutte d’indépendance du vingtième siècle, qui ont porté très haut l’idéal de liberté, au point de ne pas hésiter à sacrifier leur vie pour libérer leur pays de l’oppression raciale. Au delà, toute la construction du film, en forme de plaidoyer pour l’histoire, est une véritable réhabilitation de la mémoire, des mémoires, au travers de la reconnaissance de ces femmes et ces hommes.

Anita Lindskog
Jeune Cinéma en ligne directe

* Sur Arte TV, du 2 avril au 19 octobre 2024.

1. Le Congrès national africain (ANC) fut membre de l’Internationale socialiste depuis sa fondation en 1912, pour défendre les intérêts de la majorité noire contre la minorité blanche. Déclaré hors-la-loi par le Parti national pendant l’apartheid en 1960, il a été à nouveau légalisé le 2 février 1990, puis aboli en juin 1991. Il aura également été classé comme organisation terroriste par les États-Unis de 1986 à 2008.
Umkhonto we Sizwe (MK) a été, pendant 30 ans, la branche militaire du Congrès national africain d’Afrique du Sud (1961-1991).


MK, l’armée secrète de Mandela (MK the Secret Army of Mandela). Réal, sc : Osvalde Lewat ; ph : Julien Bossé ; mont : Anne Renardet. Avec Dudu Msomi, Jabu Masina, Mavuso Msimang, Mac Maharaj, Maghebula Segale, Mavuso Msimang, Ronnie Kasrils, Totsi Memela, Zola Maseko (France-Afrique du Sud-Cameroun, 2022, 52 mn). Documentaire.



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