Le dernier documentaire de Sébastien Lifshitz suit pendant plus d’un an la vie de Sylvie Hofmann, infirmière cadre à l’hôpital Nord de Marseille. Cette chronique traite de son métier et de sa vie privée. Bien que le cinéaste ait conçu son projet avant l’arrivée du covid, la réalité d’une femme en lutte dans le cadre hospitalier durant la pandémie a rendu le film plus difficile à réaliser, plus passionnant aussi.

Sylvie Hofmann a commencé à travailler à l’âge de 18 ans. Elle en a aujourd’hui 58. Son métier la passionne toujours, mais elle est harassée par ses conditions de travail et sa santé s’en ressent. Le tournage fut rendu possible grâce à une dérogation spéciale. Ce qui en fait un document à valeur historique, sur ce moment où les établissements hospitaliers étaient devenus des forteresses. Le film a découlé naturellement de la rencontre de Sébastien Lifshitz avec celle qui allait en devenir la protagoniste. Il l’a, dit-il, trouvée "chaleureuse, entière, sans ce devoir de réserve qu’ont les soignants".

Le service de Sylvie Hofmann est celui des soins palliatifs en oncologie. Le documentaire montre les équipes, constituées de très jeunes femmes, face à leurs patients. L’équipe de tournage est légère et toujours hors-champ. Elle a dû s’adapter à des situations quelquefois des plus dramatiques - des questions de vie ou de mort. On ne sent jamais les personnes filmées sur la défensive, les soignants ou les patients ne sont jamais incommodés par la présence de la caméra. L’expérience du cinéaste en matière d’immersion est telle que les soignants agissent et réagissent spontanément. Ils trouvent immédiatement les bons gestes. Par ailleurs, l’hôpital est montré comme un lieu de résistance au tragique, y compris par le rire : on assiste à quelques scènes loufoques à la Marcel Pagnol.

Madame Hofmann est un portrait.
Des photos en noir & blanc nous montrent la soignante petite fille, déjà en tenue d’infirmière. Peu à peu, on entre dans son intimité. Elle parle avec justesse des angoisses liées à ses relations avec les malades et leurs proches. Nous faisons connaissance avec sa mère, une émigrée italienne qui était entrée à l’hôpital comme femme de ménage et avait passé un concours pour devenir aide-soignante. Mère et fille doivent tout à l’hôpital. Et elles lui ont tout donné. Les nouvelles générations, également à base de diversité, supporteront-elles un tel engagement ? C’est une des questions que pose la fin du film.

Madame Hofmann représente un état des lieux du modèle français de santé publique en ce début de siècle. À la différence des caractères abordés jusqu’ici par Sébastien Lifshitz, des "invisibles" ou des marginaux, Sylvie Hofmann est selon lui une "anonyme exemplaire" qui devient, le film aidant, quasiment un personnage de fiction.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°427-428, mars 2024

Madame Hofmann. Réal, sc : Sébastien Lifshitz ; ph : Elio Balezeaux ; mont : Delphine Genest ; mu : Grégoire Hetzel (France, 2023, 104 mn). Documentaire.