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Fortuné, Maïder (né en 1973)
Les courts métrages expérimentaux
publié le samedi 21 mars 2015

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

L’artiste contemporaine Maïder Fortuné a une double actualité.

D’une part, un de ses films faisait partie du programme consacré au Jeune cinéma actuel, présenté le 8 février 2015, à la Cinémathèque française (une sélection de réalisations de Noémie Lafrance, Boris du Boullay, Jacques Perconte, Christian Rizzo et Yann Gonzalez).

D’autre part, le festival Hors pistes du Centre Pompidou lui a consacré, les 5 et 14 février 2015, deux temps forts : une conférence poétique, donnée en duo avec la Canadienne Annie MacDonell, et une séance de projections, où nous avons pu découvrir trois de ses autres opus.

Dans Carrousel (2010, 12 mn), l’auteure se livre à un exercice de style, qui consiste à juxtaposer de longs travellings, donnant la sensation de n’en faire qu’un, et nous dévoilant progressivement l’intérieur d’un foyer bourgeois plongé dans le sommeil et dont le père est absent.
Le flou d’ensemble contribue à maintenir le mystère, même si on eût sans aucun doute apprécié plus de variété dans la mise au point. La focalisation, en effet, ne s’effectue qu’au premier plan, négligeant tout ou presque de ce qui se trame à l’arrière-fond. Malgré les qualités de ce film en couleur et d’un ratio d’image mimant celui du Cinémascope, son côté systématique, et donc un peu prévisible, lui porte préjudice. Fort heureusement, les résonances cristallines de la bande-son de Nicolas Becker viennent vivifier le tableau.

Curtain ! (2008, 18 mn) rend hommage aux héros des comics, des cartoons et autres musicals destinés au jeune public, pour la plupart adaptés d’œuvres littéraires.

Seuls, par deux ou trois, vus de dos, les personnages de l’enfance s’éloignent et se fondent dans l’opacité du studio embrumé et assombri, à peine éclairé en contre-jour.
Le tout, paradoxalement, nous est restitué en noir et blanc, rythmé par la bande-son lancinante et grinçante de Sam Britton.

Cette procession n’a rien de bien joyeux, mais n’est ni dolente ni funèbre. On reconnaît au passage certains archétypes : le loup au côté du Chaperon rouge, Batman, Alice, la Reine de cœur, Mickey et Minnie (caractérisée par son gros nœud papillon entre les oreilles), Mary Poppins, Dorothée suivie du bûcheron en fer blanc, de l’épouvantail et du lion peureux du Magicien d’Oz, Bugs Bunny, etc.
Le traitement photographique peut faire songer au Prince Achmed (1926) de Lotte Reiniger, à Une Nuit sur le Mont Chauve (1933) d’Alexeieff ainsi qu’à L’Ange (1983) de Patrick Bokanowski. Ce qui n’est pas rien !

Formée au théâtre et au mime (à l’école de Jacques Lecoq), Maïder Fortuné joue elle-même dans plusieurs de ses films.

Dans Hide and Seek (2001, 11 mn), elle incarne une Alice égarée dans un espace improbable borné par des colonnes en béton.
L’inquiétante étrangeté qui se dégage de chacun de ses films se renforce dans celui-ci, l’un de ses tout premiers, par l’usage d’un décor indéterminé.
En l’occurrence, un sous-sol désaffecté, quoique patiné, dont la protagoniste, semble-t-il, ne peut ni ne veut sortir.
La femme-enfant se livre à une danse qui prend la forme d’un duo avec elle-même, grâce au vieux truc de la surimpression dont tirait profit la photographie spirite, auquel recourut Méliès, lui-même adepte de la magie blanche.
La traversée du miroir est figurée d’une manière singulière par la rencontre de l’héroïne avec son propre spectre. La B.O. électro-acoustique du film, à base de craquements et de grattements, étant menaçante à souhait.

Totem (2001, 10 mn) (1), comme nombre de ses autres bandes, est généralement montré en boucle, dans le cadre d’installations.
Du coup, la notion de "court métrage" peut être mise en cause, dès lors que l’œuvre est montrée en dehors du rituel de la séance cinématographique.
Totem est un portrait de l’artiste en tenue d’Alice (robe à pois et collerette, regard étonné, casque de cheveux et frange coupée court), auto-filmée en gros plan, face caméra, en un plan-séquence noir et blanc.
Maïder n’est pas agitée mais simplement mue par l’action minimale d’un saut à la corde qui a dû prendre environ une seconde, ascension et retombée comprises (soit en vidéo 25 images).
Cet événement est prolongé, ralenti, parfois à l’extrême, décomposé et mis en boucle. Deux repères visuels permettent de délimiter le soubresaut : une oblique gris clair dans la partie supérieure gauche de l’image et une section de ligne horizontale au niveau du cou (la trace, certainement, du passage de la corde telle que captée par la caméra). Le visage, neutre d’expression, dénote la concentration de la jeune fille avant de se déformer et de se transformer au point ressembler à un masque mortuaire. L’anamorphose des traits, due à la réitération du jeu d’enfant réclamant de la célérité, produit un effet de filé rappelant ceux des très courts métrages précinématographiques. Il est scandé par la musique répétitive et bruitiste de Cédric Pigot.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe (mars 2015)

1.Voir entretien avec Maïder Fortuné.

Voir aussi Le Renouveau du cinéma expérimental (2002)

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