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Cousin Jules (le) (1972)
de Dominique Benicheti
publié le mercredi 15 avril 2015

par Maja Brick
Jeune Cinéma en ligne directe

Prix spécial du Jury au festival de Locarno 1973

Sortie le mercedi 15 avril 2015

Le réalisateur documentariste, Dominique Benicheti, a disparu en 2011.

Son film, Le Cousin Jules, rend hommage à la vie, simple, modeste, remplie d’innombrables occupations indispensables pour perpétuer l’existence.
Un vieux couple de paysans bourguignons accomplit son rituel quotidien, loin de l’agitation du monde.

Dans le silence de la campagne, chaque son s’amplifie et prend une dimension cosmique en renvoyant au sens profond, unique, primitif du geste.
La forge est au centre de cet univers et son maître, le maréchal-ferrant.


 

Par ses mouvements répétitifs, l’homme répond à la cadence du monde environnant. Son entourage n’est ni statique ni invariable, malgré les apparences.

Benicheti a un sens d’observation aiguisé et une patience exceptionnelle.
Il met en valeur des nuances, la complexité d’actes triviaux de tous les jours qu’un homme moderne n’aperçoit pas, étourdi par la rapidité et l’artifice. Le grondement du feu et du soufflet animé par le bras, bruit mêlé au grincement du moulin à café, prend ici une mesure presque biblique, faisant penser à la création de la matière à partir du chaos, ce que souligne le calme environnant, interrompu à peine par le chant du coq.

Nous assistons aux faits prosaïques comme s’ils se passaient en temps réel, tant est minutieux le regard du cinéaste.


 

Les plans séquence accentuent son intention naturaliste, éloignée de la stylisation ; les images frappent par leur beauté crue, ce charme qui se suffit à lui-même.
Il faut savoir l’examiner et l’enregistrer sans tenter de l’embellir, semble dire le cinéaste. Cependant, ses cadrages et sa technique sont aussi sophistiqués que discrets.

Benicheti fait voir une certaine âpreté des gestes, il révèle ainsi l’harmonie de l’homme avec la vie brute de la campagne.
Ces gestes d’apparence répétitifs ne sont ici jamais les mêmes pas plus que ne l’est la nature, se renouvelant sans cesse.

Tel est le travail quotidien des paysans, leurs repas, leurs brefs repos. La manière de tenir un outil, d’éplucher des pommes de terre, de porter une cuillère à la bouche, de se raser, de regarder, d’essuyer son front, tous ces détails comblent parfaitement la journée et sont d’une importance vitale autant que le cycle des saisons.
Celles-ci changent imperceptiblement. (1)


 


 

Le cinéaste donne la sensation d’entrer dans la vie campagnarde tout en étant en dehors d’elle. De longs instants à puiser l’eau dans un puits ou à transporter les fagots paraissent se dérouler dans la durée réelle ; pourtant le matin à la chaleur écrasante remplace sur l’écran le crépuscule d’hiver d’une façon insensible. Grâce aux prises très étirées, le film s’imprègne d’un rythme interne, celui des occupations méthodiques, accentuées par les bruits de la campagne - oiseaux, cloches, tic tac -, où la parole et la présence humaines sont comme effacées, ou plutôt parfaitement intégrées à la nature. Les voix ici ne sont que rudimentaires, presque incompréhensibles, une sorte de code secret du vieux couple qui se comprend à demi-mots.
Elles retentissent parfois de loin en échos, pas plus importantes que le vent.
La femme disparaît sans qu’on voie sa mort. Un cimetière au second plan marque à peine son absence.
L’homme solitaire continue à poursuivre son travail journalier augmenté de celui de sa vieille épouse.

Le tableau paraît intemporel, tant les signes d’époque sont invisibles.
Ni la radio, ni la télévision ne troublent cette existence.
L’observation de Benicheti impressionne par sa sobriété et sa pudeur. Nul voyeurisme, nulle distance ne caractérisent cette perspective qui s’affiche juste, directe, en accord avec la simplicité et la justesse des personnes filmées. Ce prosaïsme feint cache toutefois une philosophie et un but : filmer l’écoulement du temps, la vie, un processus extrêmement riche à l’aspect banal.
Deux fois seulement, la caméra marque ce rapport au temps par des plans fixes. Dans la dernière scène, la forge est déserte : une photo du passé disparu.

Maja Brick
Jeune Cinéma en ligne directe (avril 2015)

1. Le film a été tourné entre 1968 et 1973.

Le Cousin Jules. Réal, sc, pr : Dominique Benicheti ; ph : Pierre-William Glenn, Paul Lauray ; mont : Marie-Geneviève Ripeau. Int : Jules et Félicie Guitteaux (France, 1972, 91 mn). Documentaire.

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