Ouagadougou 2015
Fespaco, 24e édition
publié le mercredi 28 octobre 2015

Fespaco, 24e édition (28 février-4 mars 2015)

par Pierre Beneyton
Jeune Cinéma n° 366-367, été 2015


L’Afrique construit son histoire, regarde sans complaisance son passé et avance sans complexe dans la modernité.

Ainsi le Fespaco a-t-il, comme promis, simplifié son organisation, et désormais tous les formats de films sont sur un pied d’égalité : le numérique rejoint la compétition officielle. Comme le notait, dès 2007, Luc Dardenne, c’est le format économique de l’avenir pour la diffusion en Afrique, car même si le Ciné Goumbi renait à Bobo Dioulasso, le Fespaco se limite à deux salles commerciales à Ouagadougou (Ciné Nerwaya et le Ciné Burkina), le festival étant accueilli dans d’autres lieux disséminés dans la ville. Quant aux Ouagalais, ils ne peuvent pas consacrer le budget nourriture journalier de la famille pour un strapontin.

Le cinéma africain reflète donc la société en marchant sur ses deux pieds, l’histoire et la modernité.

Les enfants soldats et la guerre

Un des thèmes les plus forts de cette édition est celui des enfants soldats et leur passage à l’âge adulte. On se souvient du film coup de poing du Fespaco 2009, Ezra de Newton Aduaka (2006 ).
Il y a actuellement 150 000 adultes dans ce cas, et leur réinsertion dans la société est un sujet essentiel dans certains pays longtemps ravagés, ou encore ravagés, par la guerre civile.

L’Œil du cyclone de Sekou Traore,

Finalement ce fut ce film burkinabé la vedette de ce Fespaco. Il s’agit d’un face-à-face terrible entre un rebelle accusé de crimes de guerre et son avocate commise d’office.
Être un enfant soldat devenu chef de guerre marque profondément le psychisme de cet homme - peut-il être autre chose qu’un guerrier ? - et il faudra beaucoup d’habileté et de confiance pour que la parole s’ouvre et qu’un cœur apparaisse.
Avant cela , derrière les bravades et les barricades verbales, apparaîtront les liens politiciens de la guérilla, son financement par le trafic de diamant, et le poids des enfances de chacun des personnages.
Apparaîtra aussi la difficulté de défendre un accusé que toute la société pour diverses raisons condamne d’avance à être exécuté.
Avec un sujet aussi chargé, le tour de force est d’émouvoir dans un style fluide et le film est porté par deux acteurs magnifiques, Maimouna N’Daye et Fargass Assande, qui expriment leurs personnages, dans leur posture guerrière de soldat ou d’avocate intègre s’humanisant petit à petit dans un final surprenant.

À l’origine, L’œil du cyclone est une pièce de théâtre de Luis Marques, qui est aussi le scénariste du film. La pièce a été crée en 2003, et jouée à travers toute l’Afrique. C’est aujourd’hui un vrai film.

Étalon de Bronze (le jaune vif de l’or aurait été mieux) et la double récompense du prix d’interprétation masculine et féminine marquent aussi le retour en forme de tout le cinéma burkinabé qui jusque là était victime de scénarios plombés par l’histoire et la tradition et par des qualités techniques insuffisantes.

Run de Philippe Lacote (2014)

L’autre côté de la guerre civile, c’est l’embrigadement progressif d’un jeune homme dans une milice des Jeunes Patriotes. Il a toujours fui ses responsabilités, il s’appelle Run.
Mais un jour il va s’arrêter de courir de fuir, et va devoir affronter la réalité sous les traits d’un fou errant dans la ville. Mêlant, des scènes de comédie, des moments de tension dramatique, l’intime et le politique (Isaac de Bankolé en opposant politique sincère), Run est un exemple de film maîtrisé et percutant, avec, au finale, une interrogation : la vraie folie n’est-elle pas la vie quotidienne ? Le film a été sélectionné à Cannes, dans la section Un certain regard 2014.

Timbuktu de $$$ Sissako

Le film a fait l’actualité avant l’ouverture car sa diffusion était menacée par crainte que le sujet du film ne crée des troubles. Force est de constater que ses projections ont fait plus que le plein. La surprise a été de constater son absence au palmarès (sauf deux prix techniques), mais c’est aussi sa victoire par ricochet, car le Fespaco a privilégié, comme souvent, un palmarès pouvant donner une visibilité aux films primés, plutôt que de récompensé un film déjà célébré partout dans le monde.

La corruption

Cellule 512 de Missa Hebie ()

Le film confirme ce retour en forme de la production burkinabé. Une femme est incarcérée. Elle a écrasé un fils à papa qui faisait un rodéo à moto. Le père veut sa condamnation coûte que coûte.

Tout y passe, la corruption des gendarmes et de la justice face à l’intégrité d’autres, le système carcéral pourri (le film est par ailleurs tourné dans une vrai prison de Ouagadougou), la trahison des copines, la fausseté de leurs relations, la petite ambition de chacune... Le système parfois déraille à cause d’un détail, d’une ultime décision.
Bien sûr la fin sera heureuse, mais, tout au long du film, les différents thèmes abordés ne le seront jamais sans la lourdeur redoutée.
Cinéaste confirmé, passé par la télévision, et auteur de plusieurs films sélectionnés au Fespaco ces dernières années, Missa Hebie passe de la comédie (scènes entre les copines notamment mais aussi dans la prison) à des scènes plus dures sans affaiblir l’histoire, gardant même au passage des personnages typés (le gardien corrompu et régnant sur cet univers sans foi ni loi) mais pas caricaturaux.
La fin heureuse, sera agrémentée de quelques retournements, qui donnent à ce film une légèreté à laquelle le public a fait un triomphe mérité car les travers habituels des comédies ont été évité avec brio.

Rapt à Bamako de Cheick Oumar Sissoko

La politique est toujours présente dans le cinéma africain, en particulier pour dénoncer la corruption et la collusion des puissants. Ce film malien en est l’illustration complète, qui conte l’enlèvement d’une observatrice de l’ONU venue superviser les élections.
Son rapt doit permettre de faire élire un bon père de famille, rompu aux arcanes du système, et corrompu. Malheureusement ce sujet fort est desservi par une direction d’acteur défaillante, en particulier les enfants qui sont, par ailleurs, le moteur du film.

Les dernières éditions du Fespaco avaient montré un cinéma ivoirien tourné vers la comédie, mais cette année c’est l’aspect politique qui est apparu.
La guerre civile de 2009 laisse des traces, et c’est par un petit film qu’on pénètre dans ce temps douloureux.
À cette époque récente, un père de famille doit trouver du lait pour nourrir son bébé lorsque le lait maternel vient à manquer. Trouver du « Cinq boîtes de lait » (court métrage de Siam Marley) se révèle d’abord un drame familial d’un homme devant assumer son statut, puis une aventure, puis finalement un drame : tout ça pour ça.

Le printemps arabe

C’est eux les chiens de Icham Lasri

Le printemps arabe de 2011 est toujours présent, à travers ce film étonnant, qui débute par la présence d’une équipe de télévision un peu "Pied nickelés" couvrant les manifestations du printemps arabe au Maroc.
Elle repère un homme un peu perdu au milieu de cette foule, et veut le suivre. Mais pour lui le problème n’est pas la libération collective, c’est la sienne après plus de trente ans d’emprisonnement, depuis les émeutes de la faim de 1981.
Il part à la recherche de son passé, de ses amis , de sa famille. Le Maroc a changé, ses compagnons aussi, sa famille le croyait mort (sa femme a même reçu son certificat de décès !), tous les prisonniers ont été libérés il y a longtemps, mais pas lui.

À travers ses obsessions, sa déambulation, son inadaptation, c’est une vision du pays en marche avec la résurgence de son passé (qu’il faut oublier ?) qui nous est montrée.
Le film est conçu comme un documentaire, et il faut dire que la composition du prisonnier libéré est sidérante, mais elle aboutit finalement à un récit de la société actuelle, de la trahison ou des arrangements que chacun fait au fil du temps. Certains ont été choqués par ce mélange des genres. Mais on peut considérer aussi que c’est là-même la force et la magnétude du film et son envoûtement.

La famille africaine

La famille africaine, c’est quelque chose d’incontournable, dans la vie comme au cinéma.

La Dot de Tahirou Tasséré Ouedraogo
Là est montré son aspect traditionnel, et toute la difficulté de sa confrontation dans la vie amoureuse moderne et les conséquences dramatiques qu’elle entraîne.

Render to Casear de Ovbiagele Desmond ()
Ce film nigérian révèle qu’aujourd’hui la famille est confrontée à un autre aspect, plus économique, plus citadin, mais avec au cœur de la vie : l’enfance.
La traque d’un criminel qui manipule la police par une série de crimes destinée à le confronter avec son passé familial, est portée par des acteurs exemplaires, et une réalisation maîtrisée.

Madame Esther de Luc Raznajoana (Madagascar)

Le lien avec son enfant, c’est le problème de Madame Esther, qui lui a fait une promesse qu’elle ne peut désormais tenir puisqu’elle est licenciée.
Elle trouvera le moyen de respecter son engagement, au prix d’une compromission génératrice aussi d’un nouveau départ.
Un film magnifique et émouvant justement récompensé.

Malika et la sorcière de Boureima Nabaloum (Burkina Faso)

Le point de vue des enfants eux-mêmes est aussi évoqué. Ce dessin animé raconte l’histoire d’une fête coutumière annuelle réunissant les garçons et les filles en âge de se marier. La trop jeune Malika ne peut y assister, mais elle va déjouer l’interdiction et s’imposer dans le groupe des filles du village. Elle sera grâce à sa malice les protéger d’une sorcière qui se mettra plusieurs fois sur leur chemin. Ce Kirikou au féminin, astucieuse et courageuse a été une sorte d’ovni dans le festival.

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L’enfant retrouvé c’est celui du « Serment de Koumba » après des années d’abandon à cause du métier de danseuse de boîte de nuit et de la propre histoire. Au prix d’une vraie lutte pour se libérer de la mafia locale, elle retissera des liens avec sa fille devenue une jeune parisienne. Leur apprentissage l’une de l’autre sera douloureux, mais le talent de Cheidk Fantamady Camara (déjà souligné lors du Fespaco 2007 avec « Il va pleuvoir sur Conakry ») mêlant dramaturgie et comédie en fait un des films forts du festival.

Le lien avec les migrants

Le lien entre les migrants et leur continent est une des grandes problématiques africaines et cela peut donner lieu à des films maladroits et plombants

Des étoiles de Dyana Gueye (Sénégal)

C’est une grande réussite.
Ce film choral mêle le parcours de Thieno qui a 19 ans vient à Dakar pour la première fois et va de découverte en découverte, à celui de Sophie qui part pleine d’espoir retrouver son mari Abdoulaye à Turin. Mais lui est parti chercher fortune à New York. Il se retrouvera balloté entre passeurs-truands, employeurs-voyous, bien loin de son rêve, quand sa femme trouvera aide et solidarité féminine pour se reconstruire une nouvelle vie.

Les Avalés du grand bleu de Kossivi Tchincoun (Sénégal)

Pas de fin heureuse pour ce film qui dit la disparition en mer des migrants et les répercussions psychiques sur ceux qui sont restés.
C’est un drame identique qui reliera finalement Madame Koffi l’enseignante inabordable et son élève perdu dans ses pensées. Leur douleur commune les fera évoluer l’un vers l’autre et vers un retour à la vie.
Une fois installés et même bien intégrés, les immigrants devenus émigrés restent en lien avec leurs racines.

Zakaria de Leyla Bouzid (Tunisie)

Les liens avec les racines, c’est ce que conte l’histoire d’un père de famille, supporter de l’équipe locale de foot, dans laquelle joue son fils, et dont la fille fréquente librement les garçons du coin.
La mort de son père le décide à revenir en Algérie avec toute la famille enthousiaste. Sauf sa fille. Et tout le drame se noue et tout s’effrite. Porté par une réalisation impeccable et des acteurs tout en justesse, ce film nous plonge aussi dans notre réalité française, et nous interroge.

Le Burkina Faso a fait l’actualité avec une révolution citoyenne en octobre 2014, un avion qui s’écrase, la crainte du virus Ebola, remettant en cause la tenue même du festival.
Il est heureux qu’il ait pu se tenir malgré tout, et dans une organisation maîtrisée, ce qui est une belle performance.
Il se disait dans l’empire mandingue, que l’empire mandingue est comme de l’eau dans une calebasse qui balance. L’eau fait du bruit, va dans tous les sens, mais ne se verse jamais.
Les griots de l’empire mandingue chantaient cela et le Burkina est dans ce cas.
On se dit : "Cette fois-ci c’est foutu", mais on se ressaisit, et c’est la chance de ce petit pays.

Pierre Beneyton
Jeune Cinéma n° 366-367, été 2015.

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