Jeune Cinéma n°365 - mai 2015
Édito et sommaire
publié le samedi 11 juillet 2015

JEUNE CINÉMA n°365, mai 2015


 

Photo de couverture :
Olivia Ross dans Souffler plus fort que la mer de Marine Place (2015)

Quatrième de couverture :
La machine coloniale de Roy Andersson (Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence)

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ÉDITO JEUNE CINÉMA n° 365, mai 2015

 

On se souvient que François Truffaut craignait que ses films soient désormais vus par des spectateurs qui ignoreraient le nom de Murnau.
Est-ce pour remédier à cette ignorance supposée que, dans Libération du 22 avril 2015, une parenthèse est venue ainsi ponctuer une phrase de Peter Bogdanovitch évoquant Ernst Lubitsch : "(réalisateur américain d’origine allemande mort en 1947, ndlr)" ?
La rédaction du supplément cinéma du journal croit donc nécessaire d’avoir recours à Wikipedia pour compléter les manques de ses quelques lecteurs fidèles ?
Pourquoi pas "Luis Buñuel, cinéaste espagnol, vivant en France et mort en 1983" ?
À force de ne se situer que dans l’immédiateté, l’ex-quotidien du matin de référence va-t-il devoir utiliser des notes en bas de page lorsqu’il nommera Rimbaud, Faulkner ou Picasso ?

Les rumeurs qui couraient la ville depuis des mois se sont tues après la divulgation de la sélection officielle cannoise, laissant place aux habituels commentaires, que l’on relira avec profit une fois le festival terminé. De toutes façons, en ce qui concerne la compétition, le reproche est récurrent : si un cinéaste reconnu est sur la liste, le festival est accusé de ne prendre que des abonnés ; si le même cinéaste n’y est pas, le festival est accusé de commettre une erreur. Peu de chances que cela change un jour, puisque cela fait partie du jeu.

Nous revenons plus loin sur les films français choisis par les divers responsables.
Le millésime est remarquable, pas tant par les sommets atteints que par son niveau global et sa diversité.
Au point que nous avons choisi, pour illustrer notre couverture, un premier film d’une réalisatrice inconnue - et qui le restera pendant le festival puisque aucune section ne l’a repérée -, mais qui nous paraît représenter, comme jadis Louise Wimmer pour notre n° 342-343, le souffle nouveau du jeune cinéma français.
Nous avions aussi souligné, avant Cannes 2014, l’intérêt de Party Girl, du Dernier Coup de marteau et de Fidelio, l’odyssée d’Alice - bonne pioche.
Souhaitons qu’il en soit de même pour Souffler plus fort que la mer de Marine Place, même si son titre ne constitue pas une accroche très commerciale.

N’ayant vu qu’une partie de la sélection étrangère, nous nous garderons de tout jugement d’ensemble. Sur le papier, on peut faire confiance au trio italien, Nanni Moretti - Matteo Garrone - Paolo Sorrentino, à Hou Hsiao-hsien, à Hirokazu Kore-Eda et à Jia Zhang-ke, dans la mesure où ils nous ont rarement déçus. Mais sait-on jamais ?

Quant au film de Todd Haynes, Carol, il s’agit d’un mélodrame superbe, histoire d’amour entre Cate Blanchett et Rooney Mara, dans lequel l’exacerbation des sentiments transcende la laideur de la mode féminine des années Eisenhower.

Une seconde vision de The Lobster de Yorgos Lanthimos nous permettra sans doute de mieux saisir les intentions de l’auteur de Canine, dont nous n’avons perçu que l’étrangeté, au demeurant fort dépaysante.

Le choc de la découverte, on le trouvera du côté du Fils de Saul, du Hongrois László Nemes. Encore un inconnu, mais le fait d’avoir fait ses gammes en assistant Bela Tarr et Balint Kenyeres, auteur de l’inoubliable court Before Dawn (2005) nous confirme que le flambeau des maîtres du plan-séquence à la Jancso est en bonnes mains. Son film est une performance époustouflante sur un sujet hardi - celui des sonderkommandos. Jamais la réalité sensible d’un camp, ici Auschwitz même si jamais nommé, n’avait été restituée de façon aussi crue, brutale et juste, sans un seul plan général, en demeurant à ras d’homme. Des bruits, des gestes, tous captés dans un constant déplacement, aucun point de vue autre que celui de la survie du personnage principal, aucun jugement moral : toutes les fictions que l’on a pu voir sur les camps, Steven Spielberg compris, depuis La Dernière Étape de Wanda Jakubowska, paraissent des romances. On sait que d’aucuns refusent le principe même de la représentation de l’innommable ; ils n’iront donc pas voir Le Fils de Saul. Les autres pourront en admirer la puissance.

Pas plus que d’habitude, l’ambiance ne sera à la gaudriole.
Avec des moyens totalement opposés à ceux de László Nemes, plans immobiles, cadres fixes, Michel Franco aborde le problème de l’euthanasie, de façon clinique, sans pathos. Chronic n’offre pas l’aspect "humain", Jasmine Trinca aidant, qu’avait Miele de Valeria Golino, il y a deux ans. Tim Roth, mutique et étranger au monde autre que celui des malades qu’il assiste et qu’il aide à mourir, est impressionnant et permet de supporter l’insupportable - la maigreur ultime, les râles, le vomi, la merde, l’injection des produits létaux. Despuès de Lucia nous avait déjà secoués, il y a trois ans, mais Michel Franco touche ici à des rivages extrêmes.

Par bonheur, Naomi Kawase apportera sa touche délicate pour compenser toutes ces vilaines choses. An est une bluette pleine de cerisiers en fleurs, de haricots rouges confits dans le sucre, de personnages sympathiques et méritants, dont on émerge un peu poisseux mais rasséréné : allons, l’homme n’est pas si mauvais.

Mais le film qui nous a ravis et que l’on recommande à tous les mauvais esprits lorsqu’il sortira (et au moins au Forum des Images lorsque la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs y sera présentée fin mai), c’est le dernier Jaco Van Dormaël, Le Tout Nouveau Testament. On lui décerne la palme du scénario le plus inventif, dans lequel Dieu le Père s’incarne en Benoît Poelvoorde, et Madame Dieu en Yolande Moreau ; leur fille, gamine délurée, va partir en quête de six apôtres surnuméraires, Catherine Deneuve prendre pour amant un gorille de la grande espèce, le ciel se couvrir de papiers peints kistch et autres incongruités. La réjouissance est garantie.

Nous en dirons plus dans le prochain numéro de Jeune Cinéma, à l’orée de l’été, qui dévoilera tous les mystères de la Croisette.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°365, mai 2015



SOMMAIRE JEUNE CINÉMA n°365, mai 2015

 

Cinéma français
 

* Cannes 2015, prélude français, par Lucien Logette.
* La Sapienza, un cinéma de la présence, par Philippe Roger.

Du monde entier
 

* Ermanno Olmi 1. Les documentaires, par Bernard Nave.
* Roy Andersson, nouvelles du front, par Anne Vignaux-Laurent.
* Cinélatino, Toulouse 2015 , par Philippe Rousseau.

Festivals
 

* Le film policier à Beaune 2015, par Jean-Louis Touchant.

Patrimoine
 

* John Ford et le 7e de cavalerie, par Alain Pailler.
* Exposition Lumière !, entretien avec Jacques Gerber.
* Le cinéma parle, anthologie, par Bernard Chardère.

DVD
 

* Glanures, de Crichton à Karel, par Philippe Roger.
* De Menzel à Chaplin, par Robert Grélier.

Actualités
 

* Contes italiens, par Bernard Nave.
* Sangre de mi sangre, par Jean-Max Méjean.
* Le Dos rouge, par Gisèle Breteau Skira.
* Titli, une chronique indienne, par René Neufville.
* Jack, par Jean-Max Méjean.
* On est vivants !, par Sylvie Strobel.
* Le Tournoi, par Jean-Max Méjean.
* Hyena, par René Neufville.
* Dancers, par Sylvie Strobel
* Certifiée halal, par Jean-Max Méjean.
* Melody, par Gisèle Breteau Skira.
* Casa Grande, par Jean-Max Méjean.

Livres
 

* Tours, capitale du court métrage, par Lucien Logette.
* Pierre Perrault, activiste poétique, par Robert Grélier.
* La Mécanique du rire, par Robert Grélier.
* Jean-Claude Brisseau, entre deux infinis, par René Prédal.

JEUNE CINÉMA n°365, mai 2015



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