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Miracle à Milan (1951)
de Vittorio De Sica
publié le mercredi 20 novembre 2019

Pour un cinéma d’allégorie
par Jean Delmas
Jeune Cinéma n°45, mars 1970

Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 1951, Palme d’or.

Sorties les mercredi 21 novembre 1951, 25 novembre 2015 et 20 novembre 2019


 


En 1970, Jean Delmas observe que le cinéma mondial, depuis les années 1963-1965, aborde, pour parler de la réalité politique du temps, un style nouveau.
Écartant quelques genres bien définis, comme le musical ou la SF, Delmas constate que le cinéma, quittant ainsi définitivement le néoréalisme, s’approprie des figures rhétoriques réservées autrefois à la littérature : l’allégorie, voire la parabole, et s’engage ainsi sur une nouvelle voie.

Pour justifier le terme d’allégorie, il cite Eisenstein "qui a bien pu parler de mettre en film Le Capital, mais qui a lancé cette boutade un peu comme on dit "Je vais faire un malheur ". En tout cas, il ne l’a pas fait. Et si l’écrémeuse de La Ligne générale dépasse l’anecdote pour atteindre l’idée abstraite, c’est par le chemin de l’allégorie."

Jean Delmas cite Pier Paolo Pasolini, Marco Ferreri, frères Taviani, Peter Brook, Karel Reisz, Linsay Anderson, Miklós Jancsó, Jan Nemec, Joaquim Pedro de Andrade, les frères Taviani... Il cherche dans les cinquante ans précédents un mouvement aussi général et aussi obstiné.
Et il ne trouve que Le Garçon aux cheveux verts de Joseph Losey (1948) ou Le Dernier Milliardaire de René Clair (1934), qui tous deux furent fort mal reçus en leur temps.

Et puis, il se souvient du véritable précurseur...

J.C.


 


 


 

[...]

Il y a eu Miracle à Milan.

Cesare Zavattini, qui, pourtant, avait été comme le père du néoréalisme, y ouvrait avec De Sica, une nouvelle voie : ces clochards qui organisent leur bidonville en une société communiste (utopique), ce pétrole qui se révèle sous leur terrain jaillissant à la pression du doigt, ces hommes d’affaires qui tantôt cajolent en disant : "Nous avons tous deux mains, un nez, nous sommes tous des hommes", tantôt menacent par des paroles qui deviennent aboiements, ne nous apportent évidemment pas la réalité directe de l’exploitation capitaliste, du faux humanisme, de la praxis révolutionnaire et de la répression : ce n’est pas pour rien que le pétrole précisément se trouve placé au centre de l’apologue et que l’expropriation par intervention de la police lui donne sa conclusion.


 


 


 

Ce film qu’une critique souvent bien intentionnée a dévalorisé, en son temps, en l’affublant de l’étiquette bêtifiante "conte de fée moderne" est significatif quant à la démarche stylistique au service d’un combat.

Significatif quand à l’efficacité de cette démarche puisque jamais aucun des films où Zavattini menait le même combat, contre le même ordre établi, par la voie du néoréalisme n’avait autant soulevé la fureur des bien-pensants et enragé leur contre-attaque.

Significatif aussi quant au moment où il intervient dans l’évolution du cinéma italien, celui où le néoréalisme s’essouffle ou se dissout dans une réalité pulvérisée : "Après Le Voleur de bicyclette, disait Zavattini, De Sica et moi sentions bien le besoin d’aller plus loin, de faire autre chose, de dire davantage…"

Il est vrai que le public de 1950 a mal répondu à cette tentative qui rompait avec ses habitudes. Et le public de 1970, ne paraît pas encore mûr pour entrer dans le jeu.

Il faudrait être du pays pour tirer les conclusions du très grand succès remporté, paraît-il, au Brésil par Macunaïma. Celui de If… en Angleterre n’est pas absolument probant dans la mesure où le film peut paraître déjà satisfaisant à son premier niveau et semble avoir été reçu seulement à ce premier niveau d’un portrait-charge des Public Schools.

Celui de Théorème, même devant le public français particulièrement réfractaire à une telle recherche, serait beaucoup plus significatif. Mais qu’il ait été presque aussitôt suivi par le très mauvais accueil fait à Porcherie indique assez qu’un auteur quand il s’engage dans cette voie, prend des risques et doit, pour y entraîner le spectateur, tomber juste.
L’allégorie a mauvaise presse : on ose même à peine employer le mot.


 

Est-ce à cause des stéréotypes rabâchés : les anges et les amours qui, dans l’art pompier du 19e siècle, alternativement, assuraient les charmes de l’existence, les gloires et les victoires et les lauriers qu’ont pétrifiés les monuments aux morts - fleurs artificielles sur lesquelles s’entasse la poussière de vingt ou trente siècles ? On dit : "la froide allégorie".

Comment cette froideur se trouve écartée dans une œuvre vraie par une inspiration et une recherche vraie, c’est ce que précisément, à propos de Miracle à Milan, Claude Roy essayait de dégager en 1951 dans un article très en avance sur les canons esthétiques étroitement réalistes de cette époque (1) : "Il y a deux conditions essentielles qui font de l’allégorie un genre valable. La première est que la vérité en soit l’objet. La vérité et non pas les jeux arbitraires de l’imagination. Et la seconde est que l’allégorie ne soit pas un monstre au sang froid et au mécanisme purement intellectuel. C’est la soeva indignatio de Swift, c’est la révolte de Jean de Meung, la foi de Bunyan, la bonté de Zavattini…".

"Que la vérité en soit l’objet" : la vérité des morts et la vérité de la mort, c’est bien évidemment ce qui manquait aux gloires et aux victoires des monuments aux morts.


 

Dans Miracle à Milan, la vérité est, en effet l’objet du film.
D’abord la vérité présente, contemporaine du thème central.
Mais aussi la vérité du détail permettant à chaque instant la référence de l’allégorique au réel : les vrais paniers à salade des flics pris en charge par un ange ou les toits du vrai Milan au dessous des personnages qui s’envolent sur des balais vers un pays "où bonjour signifiera vraiment bon jour".


 


 

[…]

Jean Delmas
Jeune Cinéma n°45, mars 1970

1. Cahiers du Cinéma, n°7, décembre 1951.


Miracle à Milan. Réal : Vittorio De Sica ; sc : VDS avec Cesare Zavattini, d’après son roman Totò il buono ; ph : Aldo Graziati ; mu : Alessandro Cicognini ; mont : Eraldo Da Roma. Int : Francesco Golisano, Emma Gramatica, Brunella Bovo, Paolo Stoppa, Alba Arnova (Italie, 1951, 100 mn).



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