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Sanders, George (livre)
Mémoires d’une fripouille (1960, trad. 2004)
publié le mardi 20 décembre 2016

par Bernard Chardère
Jeune Cinéma n°375-376, automne 2016

George Sanders, Mémoires d’une fripouille, Paris, PUF, 2004.


 


Cad  : mufle, dit le dictionnaire, et plus précisément (sans doute est-ce ce que l’auteur souhaitait faire accroire) : homme sans éducation. Rustre.
Memoirs of a Professionnel Cad a été traduit, curieusement, par Mémoires d’une fripouille, alors que ce qu’indique “professionnel” est justement que le signataire n’est fripouille que “de métier”.
Ce sera ici l’occasion de manifester mon incompréhension devant la possibilité qu’ont apparemment les importateurs et distributeurs de films de changer les titres choisis par leurs auteurs (et producteurs). Admettons que la créativité de l’acquéreur puisse s’exprimer dans certains cas : Beyond the forest (La Garce) de King Vidor (1949) ; El bruto (L’Enjôleuse) de Luis Buñuel (1953) ; The Big Sky (La Captive aux yeux clairs) de Howard Hawks (1952) ; Albeniz (Sérénade espagnole) de Luis César Amadori (1947) ; Big Money (In the Pocket) de John Paddy Carstairs (1958).

Mais il y a mieux, ou plutôt pire : Adam’s Rib (Madame porte la culotte) de George Cukor (1949) ; Adventures of Casanova (Le Signe de la terreur) de Roberto Gavaldón (1948) ; A Woman of Distinction (Suzy dis-moi oui) de Edward Buzzell (1950) ; Beatrice Cenci (Le Château des amants maudits) de Riccardo Freda (1956). Etc. etc.

À ce compte, pourquoi ne pas laisser le nouveau propriétaire libre de couper une ou deux séquences dans le film ? Messieurs, de grâce, on vous prie de vous borner à traduire les titres. Cela ne videra en rien votre tiroir-caisse, sans lequel D.W. Griffith, S.M. Eisentein, O. Welles et les suivants n’auraient jamais pu faire des films. Comment s’intitulent-ils déjà ? N’importe : bravo, merci, tiroir-caisse !

Revenons plutôt à notre héros, Georges Sanders : cent dix films en trente-six ans.
Ce super Anglais upper distingué était russe. J’émergeai plus ou moins à contre-cœur de la matrice de ma mère à 6 heures du matin. Il poursuit (écrit en 1960) de pied ferme, avant de se suicider, par ennui, à 65 ans. Son père fut l’introducteur de la balalaïka paysanne dans le tout Saint-Pétersbourg - vrai titre de noblesse. La famille, ruinée par la Révolution, s’enfuit en Angleterre.

Plus tard, il fut marié à Zsa-Zsa Gabor, pendant cinq ans. (1) Douglas Sirk raconte qu’il vivait dans sa cave, en portant une barbe pour qu’elle ne le reconnaisse pas. Malgré tout, il lui consacre un chapitre d’anthologie.
Bricoleur hors pair, véritable ingénieur électricien à vrai dire, il assurait n’avoir vu quasi aucun de ses films : c’était déjà assez dur d’y avoir participé, sans qu’on le contraigne en outre à les visionner.

Son résumé de carrière est d’une simplicité foudroyante : N’ayant rien à faire, j’allai à Hollywood, où les scènes sont déjà tournées avant qu’on ait eu le temps de s’y intéresser. Cela en partie pour des raisons d’économie, et en partie parce qu’elles ne sont pas intéressantes, de toute façon.

Jean Douchet, cité ici en tant qu’adorateur de saint Roberto-Rossellini, n’a jamais dû lire les pages où George Sanders raconte son tournage de Voyage en Italie avec Ingrid Bergman, en 1953. Le critique Tony Thomas, dans la filmographie commentée qui termine le volume, démontre qu’il est imperméable à l’esprit "Nouvelle Vague / Cahiers du cinéma" dont Jean Douchet est un représentant, en écrivant sans ciller : "Le film laborieux inclut de nombreux plans de Ingrid Bergman traînant à travers des musées et diverses ruines, mais pas grand-chose d’autre." (Tony Thomas serait-il un pseudonyme de Ado Kyrou ?)

Georges Sanders assure qu’il a toujours apprécié la paresse, au point que "pour pratiquer celle-ci dans un confort raisonnable, j’étais même prêt, de temps à autre, à travailler." Depuis Jean-Jacques Rousseau, on a rarement vu plus franc. S’il n’a pas honoré de sa présence une invitation à déjeuner de Louis B. Mayer, décisive pour une carrière internationale, c’est parce qu’il construisait un télescope dans son jardin. À l’autre bout, il raconte la mort subite de son ami Tyrone Power au cours d’un tournage en Espagne.
En conclusion, l’éditeur mentionne les investissements risqués de George Sanders, dont les associés disparurent : il resta plutôt roi de l’écran - il tournait de plus en plus - que de la finance. Son dernier mot : Je m’en vais parce que je m’ennuie. Imparable.

Énumérez Alfred Hitchcock (Rebecca), Fritz Lang (Man Hunt, La Cinquième Victime), Albert Lewin (The Moon and Sixpence, Le Portrait de Dorian Gray, Bel-ami), Douglas Sirk (Summer Stock, Un scandale à Paris, Lured), John Brahm (Jack l’éventreur, Hangover Square), Blake Edwards (Quand l’inspecteur s’emmêle), Joseph L. Mankiewicz (Eve), John Huston (La Lettre du Kremlin), c’est bien sûr choisir les meilleurs metteurs en scène... et la suite jusqu’à cent trente.

Bernard Chardère
Jeune Cinéma n°375-376, automne 2016

1. Cf. Zsa-Zsa Gabor (1917-2016).


George Sanders, Memoirs of a Professional Cad : The Autobiography of George Sanders, London, G.P. Putnam’s Sons, 1960. Mémoires d’une fripouille, traduction de Romain Slocombe, Paris, PUF, 2004, 225 p..



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