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Monument (2012)
de Peter Kubelka
publié le jeudi 13 avril 2017

Hommage à Peter Kubelka au Centre Pompidou (12-16 avril 2017)

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe


 


Dans le cadre de la célébration de son quarantenaire, le Centre Pompidou a rendu hommage à Peter Kubelka, cinéaste d’avant-garde viennois et auteur de la rétrospective inaugurale du CNAC, Une histoire du cinéma.

La soirée d’ouverture se tenait au forum (ou étage –1), une salle de cinéma inhabituelle, ni claire ni obscure, ouverte et close à la fois, troublée de parasites sonores, renouant avec les origines foraines du 7e Art.

Deux projecteurs 35 mm bien en vue, aux moteurs audibles, diffusaient sur un gigantesque écran accroché aux cintres la version de la dernière œuvre de l’auteur, Monument (2012), un diptyque combinant Arnulf Rainer (1960) et son antithèse, Antiphon, version négative de ce court métrage emblématique, les images tantôt juxtaposées, comme dans la polyvision napoléonienne de Abel Gance, tantôt superposées, comme dans Christmas on Earth (1963) de Barbara Rubin.


 


 

"Peter Kubelka, vous êtes de la race des pionniers !", a déclaré Bernard Blistène (1) en accueillant l’artiste.

Il convient de relativiser un apport hérité des concepts de "Lichtspiel" et de "Hörspiel" de Walther Ruttmann (2), du cinéma d’animation abstrait d’un Viking Eggeling, ou d’un Hans Richter (3), ou succédant à l’anti-cinéma lettriste (4).
Kubelka innove dans la branche du cinéma dit "structurel" où se sont illustrés notamment Paul Sharits et Tony Conrad.

Bernard Blistène a souhaité rendre justice autant à l’artiste qu’à l’infatigable promoteur et défenseur d’un cinéma différent, non inféodé à l’industrie et aux puissances de l’argent.


 

Peter Kubelka a dédié la soirée à son ami Pontus Hulten, qui fut le premier directeur de Beaubourg, et qui, selon lui, "avait une vision juste" qu’il avait tenté de réaliser.
Il avait fait sa connaissance en 1958 à Bruxelles, à la Cinémathèque royale de Belgique de Jacques Ledoux.
Se demandant où l’on pourrait montrer les films "de jeunes gens travaillant en liberté", Hulten et lui pensèrent que le Musée d’art moderne était le lieu idéal. Certes, le mode de perception d’un film devait être différent de celui d’une sculpture ou d’un tableau, les films ne pouvant, par exemple, passer en boucle, dans une salle éclairée. Il fallait établir, nous a rappelé Kubelka, des règles de ciné-présentation et passer une forme de contrat avec le spectateur : celui-ci devait payer sa place, s’asseoir dans une salle obscure, s’exposer à la contemplation d’une œuvre comme s’il s’agissait d’un rituel. Et, peut-être, par là même, parvenir à l’extase.

Ces conditions de solennité ont été réunies au Centre Pompidou lors de la projection de Monument, les spectateurs ayant été invités à prendre place sur des bancs séparés par une allée centrale, comme à l’école de jadis ou à l’église.

Kubelka a présenté Monument comme un monument funéraire, conçu et réalisé précisément au moment "abyssal" du passage au numérique et donc de la destruction du cinéma analogique, avec tous les objets et le matériel qui l’ont rendu possible : l’écran, le projecteur et le bande pelliculaire.
Fin théorique, puisque, depuis, l’espoir d’une renaissance de l’analogique nous vient de Hollywood et de Kodak qui se sont aperçu que le nouveau médium ne répondait pas aux exigences de stabilité et de longévité...

Les œuvres, nous a dit Kubelka, doivent rester dans cette unité de production matérielle et matérialiste, en étroite relation avec le corps et le cœur du cinéaste.
"Il faut toucher la pellicule, voir le film à l’œil nu, tenter de mesurer le temps", comme Kubelka le faisait, sans table de montage, à l’aune de la distance entre le coude et la pointe de l’index. Le matériel détermine en grande partie le contenu de l’œuvre.


 

Monument est un film en quatre sections qui jouent avec l’obscurité et la lumière, le son et le silence. Tourné sans caméra, il n’est pas constitué d’images, mais de clignotements. Le blanc et le noir ne présentent pas de contrastes francs ; les teintes ou plutôt les valeurs s’additionnent ; les contraires en bonne part s’annulent. Le spectateur peut se sentir agressé par le bombardement rétinien.
Le volume sonore fait de la projection un événement musical, aucunement psychologique, bel et bien physiologique.

Ce cinéma physique s’adresse directement à la sensation. Il est "sensationnel", au sens propre du terme. La démarche de l’auteur est minimaliste. Pourtant, celui-ci parvient à réintroduire une forme grandiose de spectacle, qui vous ébranle et peut vous laisser pantelant.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Bernard Blistène est directeur du Musée national d’art moderne.
Hommage à Peter Kubelka au Centre Pompidou (12-16 avril 2017)

2. Cf. Opus 1 (1921), Opus IV (1925) et Wochenende (1929) de Walther Ruttmann.

Lichtspiel : "jeu lumineux". C’est aussi le mot qu’utilisa Moholy Nagy au Bauhaus estimant que le photon remplacerait le pigment. (cf. Moholy Malerei, Fotographie, Film, Bauhausbücher 8,1925). Moholy a fait un film : Ein Lichtspiel schwarz-weiss-grau (1930) où il a filmé son modulateur de lumière.

Hörspiel : "jeu acoustique". C’est ainsi que Ruttmann a qualifié son film Wochenende, qui s’apparentait aux pièces radiophoniques, mais était différent dans sa diffusion. Wochenende a été montré à Bruxelles en 1930. Jean Lenauer le décrit comme "un film parlant sans images", comme un "enregistrement sur film monté selon l’esprit du cinéma" (Pour vous n°88, 24 juillet 1930).

3. Cf. Rhythmus 21 de Hans Richter (1921).

4. Cf. L’Anticoncept de Gil Wolman (1952).

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