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Török, Jean-Paul (livre)
Pour en finir avec le maccarthysme (1999)
publié le vendredi 26 décembre 2014

par Gérard Camy
Jeune Cinéma n°265, décembre 2000

Jean-Paul Török, Pour en finir avec le maccarthysme. Lumières sur la liste noire à Hollywood, Paris, L’Harmattan, 1999.


 


"…And Ye shall know thee truth and the truth will make ye free".
Cette phrase placée en exergue du volumineux ouvrage de Jean-Paul Török intitulé Pour en finir avec le maccarthysme donne le ton.
Cet éminent maître de conférences à l’université de Paris I, auteur de plusieurs ouvrages dont un excellent livre sur le scénario, scénariste, secrétaire général du Prix Simone-Genevoix de littérature cinématographique, part en guerre contre des idées toutes faites, les "mythes à la vie dure" qui ont terni la véritable raison d’être de la Commission des activités anti-américaines créée par le sénateur MacCarthy et qui débuta ses auditions le 20 octobre 1947. Déjà, sous Franklin D. Roosevelt, accusé d’avoir favorisé la conspiration des Rouges, une première commission dirigée par Martin Dies avait siégé à partir du mois d’août 1938 afin de dénoncer les communistes infiltrés dans les syndicats et dans les milieux intellectuels et artistiques, en particulier à Hollywood où la section à son apogée ne dépassa jamais 300 membres (p. 326) et d’éradiquer cette idéologie pernicieuse et dangereuse.

La thèse de Jean-Paul Török est simple : la menace communiste aux États-Unis était réelle. Le maccarthysme a donc eu sa raison d’être. "C’est ainsi que nous sommes parvenus à comprendre sinon à pardonner ou à justifier, les raisons d’une épuration qui apparaît de ce côté-ci de l’Atlantique comme absurde, aberrante, provoquée par la pathologie d’un système devenu fou." (p.12) Criant à l’antiaméricanisme primaire qui n’a jamais permis une vision saine des véritables (et respectables) motivations du célèbre sénateur, notre homme s’emballe, tombant alors dans un anticommunisme primaire tout aussi aveuglant. Il y a comme un regret dans la description de la grande rafle menée par J. Edgar Hoover qui aboutit en 1920 à l’arrestation de 10 000 communistes : "Cela suffit à indigner la presse de gauche et l’opinion libérale, au point qu’une commission d’enquête fut désignée par le Congrès. Il fut aisément disculpé, les ‘Red Raids’ relevaient de l’autorité du FBI". Pas question de prêter une quelconque humanité ou grandeur d’âme aux 75 000 adhérents (chiffre maximum en 1938) et aux quelque 500 000 sympathisants du PCUS.
Ne peut-on imaginer un instant que Dashiell Hammett, Humphrey Bogart ou John Garfield aient eu de saines idées démocratiques et humanistes (autant que Joseph MacCarthy) inspirées par un idéal communiste qui ne peut se résumer aux massacres de Staline (à la différence de l’idéal nazi qui est tout entier contenu dans les exterminations voulues par Hitler). Subversion, contamination, péril, subversion…, sont des mots qui reviennent si souvent qu’on se croirait à la conférence sur le mildiou idéologique pendant le générique du Z de Costa-Gavras.

Jean-Paul Török emprunte alors les traces de Stéphane Courtois et de ses acolytes, (2) (pratiquant l’amalgame et les comparaisons oiseuses, sinon franchement insupportables. Négligeant l’Occupation et la collaboration prônée par le régime de Vichy, ignorant les années de danger bien réel qu’avaient connues les organisations résistantes, il se lance dans un parallèle des plus douteux : "Aussi puisque nous parlerons essentiellement de l’épuration à Hollywood, commencerons-nous, pour la ramener à sa juste proportion, à la rapprocher d’un événement comparable et qui lui est presque contemporain. Nous voulons parler de l’épuration du cinéma français et de la "chasse aux sorcières" que menèrent à la Libération les communistes et leurs alliés à l’encontre des "collaborateurs" et des "traîtres". Elle est en parfait rapport de symétrie avec la "croisade antirouge" qui débuta outre-Atlantique deux ans après la guerre. Là, les communistes furent les persécuteurs, ici les persécutés, accusés qu’ils étaient à leur tour de collaboration et de traîtrise au profit de l’ennemi du moment." (p.13)

Rien, si ce n’est les dates et la présence des communistes, ne rapproche ces deux événements. En relativisant les faits de collaboration avec les nazis et en accentuant le danger très relatif de l’activisme des communistes aux États-Unis à la fin des années quarante, Jean-Paul Török ouvre la porte à toutes les révisions de l’Histoire. Page 19, il enfonce le clou : "Peut-être aurait-il lieu de dire que devant le tribunal impartial de l’Histoire (qui porte si peu d’intérêt aux différents en matière de politique qu’il prend l’orthodoxe pour l’hérétique et le traître pour le justicier) l’accusateur et la victime, celui qui a tort et celle qui a raison, sont une seule et même personne".

Du "tous coupables" au "c’est pas si grave", la globalisation historique est un mal fréquent en ces temps de mondialisation. Notre homme y succombe trop souvent dans un ouvrage, par ailleurs remarquablement documenté. Les recherches effectuées sont colossales. Jean-Paul Török a tout lu, tout vu, tout analysé : les écrits, les films, les rapports d’audience, les souvenirs des uns, les déclarations des autres. Dommage que cette somme de connaissances passe au travers d’un prisme déformant. Dommage qu’au détour d’une démonstration pertinente, d’une réflexion apparemment objective, la haine du communisme reprenne, sans discernement, le dessus.
Aucune remarque ne vient étayer les extraits d’audience pourtant révélateurs (et les films d’archives sur ce sujet sont édifiants) de la manière totalement antidémocratique du questionnement. Pour lui cette commission, émanation du Congrès, est par essence démocratique, donc inattaquable. Les tentatives de justification des listés appelés à comparaître ne sont que des opérations malhonnêtes pour asseoir un peu plus le pouvoir "rouge".
L’auteur se délecte aussi des déclarations contradictoires des uns et des autres, comprend les revirements et les "trahisons" de certains, réfute une quelconque responsabilité de la commission dans la mort de John Garfield…Tout est prouvé, étiqueté, par une lecture unilatérale et la mise en abyme d’événements qu’il avance comme des pièces à conviction, avec une certitude chargée de suffisance. "Le coup du sort qui frappa les ’Dix d’Hollywood’ n’enlève rien au fait que tout, dans leur conduite, était réfléchi et prémédité, et que leur comportement devant la commission fut déterminé essentiellement par des raisons politiques". (p. 505). Certes, c’est l’évidence, les accusations dont ces hommes devaient répondre étaient exclusivement politiques.
Quant au "coup du sort" : jamais un instant, Jean-Paul Török ne s’interroge sur la confusion, la peur, les interrogations, l’angoisse qu’une telle situation peut entraîner chez des individus (ceux de la liste noire n’étaient pas tous au PCUS et ne proféraient pas les réponses toutes faites que, d’après l’auteur, ce parti leur soufflait) à la recherche d’une vérité qu’ils ne pouvaient trouver dans la rigidité et l’hypocrisie de la démocratie américaine. Toujours soucieux du détail "chargé d’objectivité", il rappelle bien que la première commission de 1938 avait aussi été créée pour surveiller les activités nazies aux États-Unis même si elle s’était rapidement (et complètement) tournée vers les communistes et que le passage devant une commission sénatoriale de Frank Costello, patron du Syndicat du crime, intéressait bien plus le public que la chasse aux rouges en 1951. Mais l’auteur ne peut résister à faire l’amalgame entre le PCUS et une organisation mafieuse : "L’affaire Costello est exemplaire parce qu’elle illustre mieux qu’aucune autre le fonctionnement d’une commission et les moyens dont elle dispose pour démasquer puis éliminer les ennemis de la démocratie. L’enquête […] se déroule de la même façon que les enquêtes du HCUA sur le parti communiste et elle poursuit le même objectif : dénoncer la présence d’une influence criminelle au sein des institutions gouvernementales et dans les secteurs clés de la société." (p. 438) Gangsters et Reds même combat !

Pour en finir avec le maccarthysme offre une documentation imposante, sans aucun doute la plus complète à ce jour en français. Et c’est bien là sa force et son danger ; car sous couvert d’un encyclopédisme impressionnant parfaitement mis en scène et en forme, preuve irréfutable d’un travail de recherches consciencieux, Jean-Paul Török nous entraîne sur des voies douteuses quand elles ne sont pas franchement nauséeuses. Ses lumières sur la liste noire à Hollywood, bien qu’alimentées aux meilleures sources, n’offrent finalement qu’un pauvre éclairage obscurci par trop de partis pris.

Au fait, "…And Ye shall know thee truth and the truth will make ye free", c’est la devise de la CIA, organisme qui, jusqu’à l’année dernière, a toujours nié être intervenu au Chili.
C’est vrai que Salvador Allende était un affreux communiste et que pour se débarrasser de cette vermine tous les moyens sont bons ! "…and the lie will make ye free"…

Gérard Camy
Jeune Cinéma n°265, décembre 2000.

* Cf. aussi "Howard Fast, Mémoires d’un rouge," Jeune Cinéma n°267, mars-avril 2001.

1. Jean-Paul Török, Le Scénario. L’art d’écrire un scénario, Saint-Ouen, Éd Henri Veyrier, 1990.

2. Stéphane Courtois, Nicolas Werth, Jean-Louis Panné, Karel Bartošek, Jean-Louis Margolin, Andrzej Paczkowski & al., Le Livre noir du communisme. Crimes, terreur, répression, Paris, Éditions Robert-Laffont, 1997.


Jean-Paul Török, Pour en finir avec le maccarthysme. Lumières sur la liste noire à Hollywood, Paris, L’Harmattan, coll. Champs visuels, 1999, 582 p.



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