Dinard 2017, 28e édition
27 septembre-1er octobre 2017
publié le lundi 9 octobre 2017

Festival du film britannique de Dinard 2017, 27 septembre-1er octobre 2017, 28e édition.

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe


 


La 28e édition du F.F.B.D. s’est déroulée fin septembre 2017 sur la Côte d’Émeraude dans des conditions climatiques presque idéales.
Deux thèmes, parfois entremêlés, ont dominé la sélection : l’homosexualité, explicite ou fortement suggérée, et la boxe sous toutes ses formes.
Hors compétition, nous a été projeté en majesté le dernier long métrage de Stephen Frears, Victoria & Abdul (Confident royal). (1)


 

England is Mine, premier long métrage de Mark Gill, (2017) dresse un portrait de Steven Patrick Morrissey, alias Morrissey, le chanteur du groupe The Smiths. Le biopic ne concerne que les débuts de la carrière du rocker. On découvre le poète en herbe tour à tout gratte-papier, infirmier, chômeur et névropathe, remonté à coup d’antidépresseurs. Il est en butte à un quotidien qu’il défie et dénie à coup d’épigrammes façon Oscar Wilde, un de ses modèles avec James Dean. Rien ne semble annoncer la gloire à venir.

La structure du film tourne un peu en rond et on regrettera que la reconstitution historique de la fin des années 70 à Manchester n’ait pas du tout été travaillée. Enfin, on prive le spectateur d’une B.O. d’esprit rock alors même qu’advient le punk - on préfère diffuser les tubes sucrés du bon vieux temps des sixties que le chanteur se passait, paraît-il, en boucle. Ce portrait de l’artiste en jeune homme est donc déceptif.


 

Il y a nettement plus de pâte dans Jawbone de Thomas Napper (2017) qui conte la descente aux enfers suivie de la rédemption d’un ancien champion de boxe amateur. Alcoolique, en voie de clochardisation, le protagoniste tente de se refaire une santé au moyen de l’activité qu’il connaît le mieux : le noble art. Le patron de l’Union Street Boxing Club, un vieil homme bougon, accepte de lui redonner sa chance.
On s’attache aux personnages, que ce soit au proprio déjà cité, à l’entraîneur, à l’organisateur de combats (joué par Ian McShane), à autant de figures de pères sévères et au lieu patiné de la salle d’entraînement que le film décrit avec nostalgie. L’acteur principal, John Harris et Ray Winstone, présents à Dinard, ont eux-mêmes été boxeurs.
Le combat final est parfaitement rendu, entre l’abstraction d’un Dekeukeleire (Combat de boxe, 1927), et l’hyperréalisme en noir et blanc de Martin Scorsese dans Raging Bull (1980). La lutte la plus difficile (c’est là la morale du film) étant celle contre l’alcool. Mais à la boxe échoit la mission sociale de remettre dans le droit chemin enfants perdus et outsiders de tout poil : "Tu seras un homme, mon fils"…


 

On serre les dents dans A Prayer Before Dawn de Jean-Stéphane Sauvaire (2017) qui adapte à l’écran le témoignage d’un ex-taulard enfermé des années durant pour trafic de drogue en Thaïlande, un livre qui fut un best-seller outre-Manche.
Cette production franco-britannique relève du double feature. Pour le même prix, nous avons droit à un film sur l’enfer carcéral dont le prototype reste Midnight Express (1978) et à une semi-fiction sur la boxe thaï, seul moyen de rendre compte de faits connus grâce aux reportages télé (justice expéditive, surpopulation, trafics incessants, double peine infligée aux condamnés : celle de la société et la loi du silence des gangs derrière les barreaux à base de coups, de viols et de meurtres). Une certaine complaisance dans la représentation, une insistance soulignée par l’emphase de la bande-son laissent le spectateur K.O.


 

The Death of Stalin de Armando Iannucci (2017) tient les promesses de son sous-titre, A Comedy of Terrors, et célèbre à la manière des Monty Pythons le Centenaire de la Révolution bolchévique.
Les collégiens présents dans la salle Hitchcock ont eu droit à une leçon d’histoire des plus irrévérencieuses. Le film adapte en effet deux albums signés de deux grands noms de la nouvelle BD française : Fabien Nury et Thierry Robin.
Côté cour, on voit le petit père des peuples festoyer avec le Politburo en évoquant ses hauts faits guerriers.
Côté jardin, on assiste à un concerto pour piano de Mozart qui s’achève dans l’affolement. Staline souhaitant en obtenir un enregistrement au plus vite, alors que celui-ci n’a pas été prévu, on décide de faire rejouer les musiciens, en soudoyant la pianiste qui rechigne, en réveillant un vieux chef d’orchestre habitant le coin qui a la trouille d’être déporté en pleine nuit (ou pire), on réquisitionne manu militari assez de public pour assourdir la salle avec notamment des paysans n’ayant jamais assisté à ce type d’événement et le tour est joué !
La mécanique gaguesque découle des gaffes à éviter, qui peuvent coûter la vie. Aucun réalisme socialiste ici. Les comédiens ne ressemblent guère aux personnages qu’ils incarnent, ce en quoi la farce a un côté brechtien, ubuesque. Le personnage central n’est pas Staline mais Béria, cruel et dépravé, monstrueux et patelin. Malenkov, le leader provisoire, ne se pose que des problèmes d’image. Joukov en macho contrarié par le NKVD est réjouissant. Krouchtchev avance ses pions et la joue finement. Les dialogues, irrésistibles, sont une anthologie des blagues qui servaient de soupape aux Soviétiques à l’époque.


 

Le thème de la survie de la paysannerie est abordé dans deux films.

Dans The Levelling de Hope Dickson Leach (2016) sur le mode de la tragédie familiale dans une exploitation du Somerset, accablée par les inondations, l’endettement, la maladie du troupeau de vaches et le suicide de l’héritier.


 

Dans God’s Own Country de Francis Lee (2017), les éleveurs sont deux jeunes hommes de traditions différentes. L’un, natif du Yorkshire, aide à contrecœur son père affaibli à gérer un petit élevage d’ovins ; l’autre, un saisonnier roumain, a déjà vécu la disparition de son activité dans son pays natal et doit louer sa force de travail et son savoir-faire. L’un est chez lui, l’autre vient d’ailleurs. Du choc des cultures et de l’inégalité sociale naît un rapport rugueux entre les deux personnages (cf. leur combat dans la boue à tendance SM ou martiale) qui, avec le temps, devient… tendre.
L’histoire d’amour entre les deux hommes évoque Brokeback Mountain, mais le film de Francis Lee est avant tout un hymne à l’âpre beauté du Yorkshire, un hommage aux travailleurs de la terre et à leur rapport à l’animalité. Le thème du migrant n’y est pas traité sur le mode de l’apitoiement. God’s Own Country, lyrique et terre à terre, aura été un des moments forts du festival.


 

Pour terminer, deux portraits de femmes aussi différentes que possible.

On est plus impressionné par le générique de Daphne de Peter Mackie Burns (2017) avec le visage d’une jeune rouquine sur un escalier mécanique dont les éclats se reflètent sur le mur d’une galerie marchande que par tout le reste du film.
La description d’un Londres limité aux commerces de bouche, aux épiceries orientales, à quelques boîtes de nuit, au snack où travaille la protagoniste, à un chemin balisé de Hyde Park et à la villa huppée où elle demeure, ne nous avance guère plus. On cherche à relancer l’intérêt du film avec l’agression d’un épicier arabe à laquelle assiste la jeune femme. Mais le fait divers fait plutôt diversion. Ce film sans histoire filmé avec une caméra elle-même erratique, aurait pu surprendre au temps de la Nouvelle Vague, il paraît de nos jours sans enjeu ni objet.


 

Pili de Leanne Welham (2017) a été l’une des bonnes surprises de la sélection. Il s’agit d’un docufiction écrite à partir de quatre-vingt entretiens avec des femmes rencontrées dans des villages tanzaniens.
La réalisatrice nous en propose une héroïne idéale ou idéelle, une jeune mère de famille séropositive et, de ce fait, abandonnée par son mari. Elle subvient à ses besoins et à ceux de ses enfants en travaillant comme journalière aux champs. Elle apprend l’anglais en écoutant la BBC à la radio et met quatre sous de côté car elle guigne un petit commerce. Elle accepte la proposition plus ou moins honnête d’un commerçant lui offrant la reprise d’un de ses kiosques, moyennant finances, voire un peu plus. Pour réunir la somme rondelette correspondant au pas de porte, elle doit alors engager une course contre la montre. Elle demande un prêt à une association de femmes pratiquant la tontine. Elle doit continuer à se soigner et, pour éviter les commérages, se rend à un dispensaire loin de chez elle. Le téléphone portable l’aide à régler une partie de ses démarches.


 

Tous ces éléments sont fort bien étayés et agencés. La réalisatrice parvient à faire jouer une troupe d’amateurs avec une grande justesse. Qui plus est, elle évite tous les écueils, le schématisme, les stéréotypes, l’exotisme à bon compte, le chantage aux sentiments. Elle montre les dispositifs d’entraide et d’assistance aux malades, les petits métiers de nourrices, le labeur des ouvrières agricoles, les structures hospitalières mises en place par l’OMS. Le film est féministe. Loin d’être triomphaliste, il rend visible ce qui est ignoré ou méconnu.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Confident royal (Victoria & Abdul) de Stephen Frears (2017), sélection officielle Hors compétition de la Mostra de Venise 2017 (30 août-9 septembre 2017).


England is Mine. Réal : Mark Gill ; sc : M.G. & William Thacker ; ph : Nicholas D. Knowland ; mont : Adam Biskupski. Int : Jack Lowden, Jessica Brown Findlay, Laurie Kynaston, Adam Lawrence, Jodie Comer, Katherine Pearce, Peter McDonald, Simone Kirby, Vivienne Bell, Graeme Hawley (Grande-Bretagne, 2017, 94 mn).

Jawbone. Réal : Thomas Napper ; sc : Johnny Harris ; ph : Tat Radcliffe ; mu : Paul Weller ; mont : David Charap. Int : Johnny Harris, Ray Winstone, Ian McShane, Michael Smiley, Luke J.I. Smith, Anna Wilson-Hall (Grande-Bretagne, 2017, 91 mn).

A Prayer Before Dawn. Réal : Jean-Stéphane Sauvaire ; sc : Jonathan Hirschbein et Nick Saltrese ; ph : David Ungaro ; mu : Nicolas Becker ; mont : Marc Boucrot. Int : Joe Cole, Vithaya Pansringarm, Nicolas Shake, Panya Yimmumphai, Pornchanok Mabklang, Billy Moore, Sura Sirmalai, Sakda Niamhom, Somlock Kamsing, Komsan Polsan, Chaloemporn Sawatsuk (France-Grande-Bretagne, 2017, 116 mn).

The Death of Stalin. Réal : Armando Iannucci ; sc : A.I. & David Schneider, Ian Martin, Peter Fellows, Fabien Nury, Thierry Robin ; ph : Zac Nicholson ; mu : Christopher Willis ; mont : Peter Lambert . Int : Jeffrey Tambor, Steve Buscemi, Olga Kurylenko, Michael Palin, Simon Russell Beale, Paddy Considine, Andrea Riseborough, Rupert Friend, Jason Isaacs, Adrian McLoughlin, Paul Whitehouse, Paul Chahidi, Dermot Crowley, Justin Edwards, Richard Brake, Jonathan Aris, Roger Ashton-Griffiths, James Barriscale (Grande-Bretagne, 2017, 106 mn).

The Levelling. Réal, sc : Hope Dickson Leach ; ph : Nanu Segal ; mu : Hutch Demouilpied ; mont : Tom Hemmings. Int : Ellie Kendrick, David Troughton, Jack Holden, Joe Blakemore (Grande-Bretagne, 2016, 83 mn).

God’s Own Country. Réal, sc : Francis Lee ; ph : Joshua James Richards ; mu : Dustin O’Halloran & Adam Wiltzie ; mont : Chris Wyatt . Int : Josh O’Connor, Alec Secareanu, Ian Hart, Gemma Jones (Grande-Bretagne, 2017, 104 mn).

Daphne. Réal : Peter Mackie Burns ; sc : Nico Mensinga ; ph : Adam Scarth ; mont : Nick Emerson Int : Emily Beecham, Geraldine James, Nathaniel Martello-White, Osy Ikhile, Sinead Matthews, Stuart McQuarrie, Tom Vaughan-Lawlor, Ryan McParland, Ritu Arya, Karina Fernandez, Timothy Innes, Rania Kurdi, Amra Mallassi, Matthew Pidgeon, Ragevan Vasan (Grande-Bretagne, 2017, 88 mn).

Pili. Réal : Leanne Welham ; sc : L.W. & Sophie Harman ; ph : Craig Dean Devine ; mont : Kant Pan ; mu : Tim Morrish. Int : Bello Rashid, Nkwabi Elias, Ng’angasamala, Sesilia Florian Kilimila, Sikijua Rashid, Mwanaidi Omari Sefi (Grande-Bretagne, 2017, 85 mn).



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