home > Films > Wonder Wheel (2017)
Wonder Wheel (2017)
de Woody Allen
publié le mercredi 21 février 2018

De Fatty à Woody

par Jacques Pelinq
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 31 janvier 2018


 


Tandis que de doctes critiques sortent leur Que sais-je ? sur Tennessee Williams, Eugene O’Neill et même Tchekhov pour meubler leurs commentaires sur le dernier (?) film de Woody Allen et que d’autres scribouillards de l’Internet copient/collent leurs sempiternels "Ah ! ce n’est pas le meilleur WA ; rendez-nous notre Woody rigolo ; encore la même chose, etc.", moi, je regarde le film et je vois dans les yeux du détonant petit Richie, le regard d’un lointain parent, celui de Roscoe Fatty Arbuckle qui, il y a cent ans, signait un Coney Island mémorable où il partageait l’écran avec Buster Keaton et l’élastique Al. St. John.


 

"C’est jour de fête à Coney Island : Buster et son amie regardent défiler une parade. Pendant ce temps, sur la plage, Fatty, flanqué d’une épouse acariâtre et autoritaire, s’ennuie profondément. La vision d’un chien creusant un trou lui donne une idée pour se soustraire à la trop grande présence de sa femme. Cette dernière, en recherchant son mari volage, rencontre un vieil ami, séducteur en mal de conquête. Rapidement, tout ce petit monde se retrouve à la fête foraine".
Suivent vingt minutes d’un délire pas très moral et donc fort drôle. (1)

En fouinant plus avant, on découvre ceci :

"Le 5 septembre 1921, durant une fête privée organisée au douzième étage du St. Francis Hotel à San Francisco, l’actrice et modèle Virginia Rappe est prise de violentes douleurs abdominales. Vers 15 h, selon ses déclarations, Roscoe Arbuckle découvre la starlette dans la salle de bains de la chambre qu’il occupe lorsqu’il se rend dans cette dernière pour se changer. Les autres invités prévenus, un docteur est appelé et Virginia Rappe conduite dans une autre chambre de l’hôtel. Roscoe Arbuckle quitte alors le St. Francis. Quatre jours plus tard, le 9 septembre, Virginia Rappe décède d’une péritonite due à une rupture de la vessie. Maude Delmont, présente lors de la fête, se rend à la police pour déclarer que Virginia Rappe est morte consécutivement à un viol perpétré par Roscoe Arbuckle. Le 11 septembre, Roscoe Arbuckle est arrêté, accusé du viol et de l’homicide de l’actrice.


 

Dès l’annonce de l’arrestation de Roscoe Arbuckle, le fait divers est l’objet d’une campagne de presse sans précédent. Fer de lance du déchaînement médiatique, le San Francisco Examiner de William Randolph Hearst fait en quelques gros titres le procès de Roscoe Arbuckle bien avant son passage devant un jury destiné à déterminer son chef d’inculpation. C’est avant tout les mœurs supposées dépravées de la gent cinématographique qui sont mises en cause.

La presse se fait l’écho d’anecdotes ou de supputations farfelues concernant l’affaire. La réaction de l’opinion publique est soudaine et violente, emboîtant le pas aux ligues de vertu et aux ligues féministes. La presse et la profession condamnent Roscoe Arbuckle avant tout procès.
Trois procès sont nécessaires pour acquitter le prévenu. Les charges ne reposent que sur des témoignages démontés par la défense et les experts médicaux concluent à une mort naturelle.
Le verdict des jurés est sans appel : L’acquittement n’est pas suffisant pour Roscoe Arbuckle. Nous pensons qu’une grande injustice a été commise." (2)

En 1922, Roscoe Arbuckle devient cependant le premier acteur à être mis sur une liste noire.
Le sénateur républicain, William Hays (3), déclarera : "Après avoir longuement consulté […], les distributeurs, à ma demande, ont annulé toutes les projections et toutes les réservations des films d’Arbuckle".

Bye, bye, Fatty.

À méditer par tous ceux qui voudraient voir Allen, Polanski et d’autres non encore inventés, se balancer au bout d’une corde.

Reste une bonne nouvelle : WA aime toujours les femmes et sait les magnifier. Carolina entre en scène dans Coney Island d’un pas à la fois assuré et fragile ; elle a la beauté plastique de Marilyn et cela suffit à créer de l’attente autour de son personnage.


 

Son portrait de Ginny, matrone grisâtre et désenchantée, qui révèle la profondeur de sa détresse lorsqu’elle passe ses habits froissés de comédienne, est du grand art. Cassavetes aussi avait ce talent d’aller fouiller au plus profond des êtres.
On a pu voir récemment un profil de femme rappelant celui de Ginny, dans la minisérie Aurore, de Laetitia Masson. Mais Aurore Clément, en mère alcoolique et danseuse ratée a bien du mal à faire exister son personnage, alors que Kate Winslet nous happe. Il y a loin de l’artiste à l’artisan.


 

Il est bon de lire l’excellente critique que Michel Lebrun consacrait à Annie Hall en 1977 (3). Sa conclusion sonne juste : "Il continuera à se faire analyser jusqu’au jour où plus personne ne rira à ses films".

On ne rit guère, en effet, à Wonder Wheel car ni la matière ni son traitement ne se prêtent à la dérision. L’analyse est bien terminée et Woody n’est plus là que par procuration, sous les traits de cet enfant qui met le feu à tout ce qu’il déteste, l’école, le cabinet de la psychologue, et qui va se réfugier au cinéma.

Le plus réjouissant est de voir le geste de l’artiste, quelqu’un qui croit à ce qu’il fait, qui continue de faire son cinéma, en se fichant pas mal de Williams, O’Neill ou Tchekhov, mais en prenant un malin plaisir à faire tourner la roue des mirages.

Moralité : Il est grand temps de revoir les burlesques, les frères Marx, Jerry Lewis, Huston, Buñuel et tout ce qui met le feu aux poudres.

Jacques Pelinq
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Fatty à la fête foraine (Coney Island) de Roscoe Arbuckle (1917), avec Buster Keaton et Al St. John. On peut revoir ça et se régaler : Coney Island {{}}

2. Roscoe Arbuckle.
Cf aussi : Affaire Roscoe Arbuckle

3. NDLR : William Harrison Hays, (1879-1954) s’est illustré par son fameux code de censure qui fut en vigueur pendant 32 ans, entre 1934 et 1966.

4. Annie Hall par Michel Lebrun.

Wonder Wheel. Réal, sc : Woody Allen ; ph : Vittorio Storaro ; mont : Alisa Lepselter. Int : James Belushi, Juno Temple, Justin Timberlake, Kate Winslet, Jack Gore (USA, 2017, 101 mn).



Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts