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Reino (el) (2017)
de Rodrigo Sorogoyen
publié le mercredi 17 avril 2019

par Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle du Festival de San Sebastian 2018

Sortie le mercredi 17 avril 2019


 


Il fut un temps où la corruption, c’était le dessous de table en cash et le tiers-monde, un immoral "fléau" du sous-développement. Les messieurs-dames de l’Occident civilisé ne mangeaient pas de ce pain-là. C’était il y a très longtemps.


 

De nos jours, ces mêmes messieurs-dames, dès les toutes premières marches du plus petit pouvoir, se trouvent embringués dans la grande foire capitaliste. Ils résistent peu aux tentations sophistiquées qu’elle propose désormais, et quand ils se font prendre la main dans le sac, ils les dénient ou les "assument" - nec plus ultra de la dérobade.
Quand ils se retrouvent piégés comme en toile d’araignée, c’est juste quelques mauvais moments à passer. Il y a des procès, rarement des piloris, et le marigot perdure.

Sur ce front-là, les cinéastes italiens et américains en connaissent un rayon. Les premiers Al Capone datent des années 30, Main basse sur la ville de Francesco Rosi date de 1963. L’Espagne n’est pas la Sicile, et sans tradition mafieuse, pas de légende. Avec El reino - Le Royaume, et son quelque chose de pourri - Rodrigo Sorogoyen, qui a déjà une longue expérience de séries télévisuelles, inaugure un nouveau champ d’action (1)


 

Un très habile potentat local, Manuel Lopez Vidal (Antonio de la Torre) coule des jours heureux dans le grand luxe. Mais la province, ce n’est pas Madrid, toute vie a droit à une perspective : la sienne, c’est une promotion nationale dans son parti, il a assez fait pour la mériter.


 


 

Quand ses mauvaises fréquentations se font prendre, devant le scandale qui se profile, pour ne pas servir de fusible au milieu des requins, et pour éviter l’humiliation de l’itinéraire Capitole-Roche Tarpéienne, il ne va reculer devant aucun des sacrifices et des méandres de la fuite en avant.


 


 

Comme dans son film précédent, Que dios nos perdone (2) il est évident que Sorogoyen s’intéresse plus aux turpitudes et aux faiblesses des humains qu’à la société qui les engendre, tout en sachant qu’elles ne s’épanouissent jamais si bien qu’en "situation" (3). Rien de plus riche en tourments, rien de plus "romanesque", après les flics, que les crapules, les truands, les politiciens véreux, les traîtres, les escrocs. C’est armé de son outil préféré, le thriller, en entomologiste patient amateur d’action et de suspense, qu’il poursuit son exploration d’une société libérale européenne exemplaire plus que sa dénonciation.


 


 

Avec Isabel Peña, pour construire le scénario de ce dernier film, ils n’ont eu qu’à être attentifs au infos télévisuelles, puis à jouer les journalistes d’investigation, pour parvenir, à la fin, aux jouissances secrètes du film à clefs (4).


 

S’ils préfèrent la fiction au documentaire, c’est que dans leur vision, c’est l’occasion qui fait le larron. S’il n’y a pas de bons, il n’y a pas non plus de méchants, plutôt des tas de minuscules héros para-cornéliens.


 

Peut-être même y a-t-il en Sorogoyen, une sorte de pitié pour les marionnettes pathétiques qu’il anime, ces victimes pavloviennes piégées dans la mécanique impitoyable d’un système dont elles sont les agents manipulées plus que les acteurs responsables.
Sinon une pitié, au moins une fascination.
Peut-être même, un mépris hautain, en fond de sauce, qui transforme ses thrillers en films politiques et Sorogoyen en quasi militant indigné.

Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

1. En Espagne, la corruption n’est pas tout à fait un sujet tabou. Rodrigo Sorogoyen et Isabel Peña citent volontiers le film de David Ilundain, B (2015), dont c’était le premier long métrage, inspiré par la même affaire. En 2011, déjà, la corruption était au centre des 8 épisodes de la série Crematorio de Jorge Sánchez-Cabezudo.
Ils pensent que s’ils ont osé aborder le sujet, c’est que la société y est désormais préparée, et qu’il devrait y avoir de plus en plus d’œuvres sur la question.
El reino a été sélectionné au Festival de San Sebastian 2018, a reçu le Prix de la critique au Festival international du film policier de Beaune 2019, et, nommé 13 fois aux Goya (équivalents des César), en a reçu sept dont ceux de meilleur réalisateur, de meilleur scénario original et de meilleur acteur.

2. Que dios nos perdone (2016) est son premier long métrage réalisé en solo.

3. Le vieux Sartre se serait régalé.

4. Le récit s’inspire de l’affaire Gürtel, un scandale de corruption impliquant 70 personnalités du Parti populaire en 2009, instruite d’abord par le juge Baltazar Garzon, avant qu’il en soit dessaisi.


El reino. Réal, sc : Rodrigo Sorogoyen ; sc : Isabel Peña ; ph : Alejandro de Pablo ; mont : Alberto del Campo ; mu : Olivier Arson. Int : Antonio de la Torre, Monica Lopez, Nacho Fresnada, Ana Wagener (Espagne-France, 2017, 131 mn).



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