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Nos défaites (2019)
de Jean-Gabriel Périot
publié le mardi 8 octobre 2019

par Claudine Castel
Jeune Cinéma n°396-397, octobre 2019

Sélection du Forum de la Berlinale 2019

Sortie le mercredi 9 octobre 2019


 


Nous ne serons jamais faits du bois des victoires, mais de celui des combats.

Au lycée Romain-Rolland d’Ivry, les élèves de la classe option cinéma se préparent à un remake d’un extrait de la Salamandre de Alain Tanner sur l’aile de la poésie. (1)
Jean-Gabriel Périot, (2) invité comme réalisateur par l’équipe du cinéma municipal, le Luxy (3), les a emmenés sur son terrain : voir le cinéma militant de 68 et en choisir huit extraits de films qu’ils ont mis en scène et joués. Il réussit à composer le portrait de groupe d’une génération, tout en mettant en jeu deux axes d’apprentissage, celui de l’acteur et de sa direction par les élèves, celui des techniciens au son et à l’image.


 

Nos défaites alterne les séquences d’archives réinterprétées de manière émouvante et crédible en noir & blanc, et les entretiens avec chacun des protagonistes (filles et garçons à parité). Périot, en voix off, les questionne sur le sens des scènes et les questions politiques qu’elles soulèvent. De la condition ouvrière - Camarades de Marin Karmitz (1969) et La Reprise du travail aux usines Wonder de Jacques Willemont (1968) - à l’idée de révolution - La Chinoise de Jean-Luc Godard (1967) -, détruire, changer le monde.


 


 

Las, la révolution n’a plus cours. Le monologue tiré du Sang des autres du Groupe Medvedkine-Bruno Muel (1974), déjà, sonnait la fin des illusions. Si la grève leur apparaît comme un moyen de lutter, la majorité ignore ce qu’est un syndicat. Les connotations négatives attachées au mot "politique" (ou "anarchie") sont révélatrices de la faillite des idées dominantes. (4)


 


 

Jean-Gabriel Périot leur donne la parole, hésitations et silences compris, signes de fragilité, d’incertitudes ou d’une pensée qui se cherche. Leurs lacunes nous renvoient à l’absence de transmission de l’histoire sociale et politique. Et pourtant, la notion d’engagement ne leur est pas étrangère ; l’un d’eux fait preuve d’une maturité qui annonce la relève.


 


 


 


 

Le film devait s’achever sur les paroles combatives de À bientôt, j’espère de Chris Marker & Mario Marret (1967), lorsqu’en décembre 2018, le retour du réel en a décidé autrement. La reprise du tournage donne lieu à un codicille qui met en perspective la solidarité et la nécessité d’agir. On revoit les mêmes élèves, mobilisés contre la course d’obstacles de Parcoursup, ils participent au blocus du lycée parce que six d’entre eux ont été mis en garde à vue pour avoir tagué sur un panneau à l’extérieur du lycée. À l’épreuve de la bataille et du film, nul doute que leur regard sur le monde en sera changé.

Claudine Castel
Jeune Cinéma n°396-397, octobre 2019

1. La Salamandre de Alain Tanner (1971). La femme de Paul lit un poème de Heinrich Heine tiré du Voyage de Munich à Gênes, un des trois volets de son Tableaux de voyage en Italie (Reisebilder) (1828).

2. Nos défaites est le deuxième long métrage documentaire de Jean-Gabriel Périot, après Une Jeunesse allemande (2016). En 2017, il a réalisé Lumières d’été (Natsu no Hikari), une fiction franco-japonaise.

3. Claire Simon, invitée par le Luxy, a réalisé Premières solitudes (2018) avec les lycéens de Romain-Rolland.

4. Ou de la réussite de l’idéologie dominante ?


Nos défaites. Réal, sc, mont : Jean-Gabriel Périot ; mu : David Georgelin. Avec : Swann Agha, Natasha Andraos, Ghaïs Bertout-Ourabah, Jackson Ellis, Julie Escobedo, Rosalie Magne, Alaa Mansour, Marine Rouie, Floricia Yamondo, Martin Zellner (France, 2019, 87 mn). Documentaire.



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