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Champreux, Jacques (1930-2020)
Une vie, une œuvre
publié le samedi 9 janvier 2021

par Lucien Logette
Jeune Cinéma en ligne directe


 


"Acteur, scénariste et réalisateur français", c’est ainsi que le définit wikipedia.
C’était aussi, et surtout, une figure familière, croisée dès les années 60 à la Cinémathèque canal historique, où il ne ratait rien de ce qui importait, et dans les CiCi, ces Congrès international du cinéma indépendant, ranimés par Alice & Bernard Chardère et qui rassemblèrent, quarante ans durant, d’ardents compagnons. (1)


 

Acteur, il le fut un peu (onze titres), scénariste un peu moins (neuf films), réalisateur très peu (un long métrage et un documentaire). Mais ses quelques participations, il les accorda à des gens choisis, Georges Franju ou Pierre Prévert. (2)


 

Georges Franju en particulier, pour qui il écrivit et interpréta Judex (1963), Nuits rouges (1974) et L’Homme sans visage (1975), c’est-à-dire la partie la plus délirante et populaire du réalisateur, loin de ses adaptations, estimables mais plus coincées, de Mauriac, Zola et Cocteau. (3)


 


 


 

Car Jacques Champreux avait été nourri aux meilleures sources : même s’il n’avait pas pu connaître son grand-père, mort en 1925, il était le petit-fils de Louis Feuillade, son père Maurice Champreux ayant épousé Isabelle, fille du "maître des lions et des vampires", pour reprendre l’expression de Francis Lacassin. (4) Et avec un père, d’abord assistant de Louis Feuillade puis réalisateur, qui tourna Judex 34, il ne pouvait échapper à cet univers où régnaient Fantômas, les Vampires et Musidora. (5)


 


 

On peut dire que c’est grâce à lui que Georges Franju put exprimer sa veine profonde, plus conforme à ses goûts que celles de Thérèse Desqueyroux ou Thomas l’Imposteur. Jacques C., après sa collaboration à l’écriture de Judex, mitonna seul le scénario de L’Homme sans visage, une série télévisée en huit épisodes que tourna Georges Franju, dans laquelle il tenait le rôle principal (ainsi que celui de sa couverture féminine, Mlle Ermance) et dont une version courte, Nuits rouges, sortit en salles en 1974, un an avant la série. Épisodes dont les titres renvoyaient à l’inspiration du grand-père : La Nuit des voleurs de cerveaux, Les Morts qui marchaient sur les toits, etc. - mystère des Templiers, zombies esclaves d’un génie malfaisant, association secrète de malfaiteurs, rien n’y manquait.


 


 


 

Comme, de façon identique, rien non plus ne manquait aux sept épisodes des aventures des Compagnons de Baal, la série télévisée qu’il co-écrivit avec Pierre Prévert et que celui-ci réalisa en 1968 : société secrète luciférienne, dirigée par un Grand Maître, domination de la planète, journaliste intrépide (Jacques Champreux lui-même), on était dans la droite ligne des Vampires de Louis Feuillade et des romans de Gustave Lerouge. Bricolée avec peu de moyens, la série conservait un fort grand charme, comme on avait pu le vérifier, sur grand écran et présenté par son scénariste-interprète, lors du CiCi de 2002, à Saint-Denis.


 


 

Cette dilection pour les genres populaires, on s’attendait à la retrouver, exaltée, dans son premier (et unique) long métrage, qu’on imaginait entre Le Docteur Cornélius et Les Mohicans de Paris. D’où la surprise devant Bako, l’autre rive, tourné en 1978, et sorti en 1979, film parfaitement réaliste, qui montrait, avec quelques décennies d’avance, le calvaire vécu par un jeune Malien qui, pour nourrir sa famille, veut rejoindre Paris, via Dakar, les Canaries et l’Espagne - Paris qu’il atteindra après un voyage de plus d’un an, pour y mourir, épuisé.


 


 

Situation archi-représentée depuis, mais qui, à la fin des années 70, était une découverte. On était loin des adorateurs de Satan, ce qui prouve qu’on peut se placer à la fois dans l’ombre de Judex et de Boubacar le Bambara. Le film connut un succès modéré - en pleine ère giscardienne, safaris au Kenya et sacre de Bokassa Ier, l’actualité africaine, vue de chez nous, n’était pas encore sous le signe du malheur. Mais les jurés du Jean-Vigo ne s’y trompèrent pas et lui décernèrent leur prix, quelques années après René Féret pour Histoire de Paul (1975), quelques années avant Gérard Mordillat pour Vive la Sociale ! (1983) - autant dire que l’auteur était bien entouré.
Pour quelles raisons ce coup d’essai ne fut-il pas suivi ?
Peut-être Jacques Champreux n’avait-il pas toutes les qualités requises pour être un réalisateur à part entière - l’obstination, la conscience de son génie, le sens du compromis, le goût des couleuvres à avaler…


 

Toujours est-il qu’il ne signa qu’un autre titre, vingt-six ans plus tard, avec son fils Jérôme : Musidora ou le Mythe revisité, documentaire de 48 mn, qui retraçait de façon poétique la carrière de l’actrice et réalisatrice, figure érotique majeure pour les surréalistes, qui la baptisèrent "la dixième muse". Le film a échappé à Patrick Cazals dans la bibliofilmographie détaillée qui accompagne son livre Musidora-Pierre Louÿs (6)
Le sujet était familier à Jacques Champreux, qui avait, avant qu’elle ne disparaisse en 1947, croisé Musidora, restée une amie de son père Maurice.


 


 

Il était né le 31 mars 1930. Le 24 décembre 2020, il a rejoint Judex, le Grand Vampire, les Templiers et les compagnons de Baal au Paradis des images.

Lucien Logette
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Le premier Congrès international du cinéma indépendant (Cici) s’est tenu en 1929 à La Sarraz (2-7 septembre 1929), initié par Robert Aron, Jean George Auriol, Janine Boissounouse et Robert Guye, chez la châtelaine et mécène suisse Hélène de Mandrot. Parmi les participants : Serge Eisenstein, Bela Balazs, Alberto Cavalcanti, Léon Moussinac, Jean Vigo, Hans Richter, Walther Ruthmann, Joris Ivens.
Le second CiCi eut lieu en 1930 à Bruxelles, au Palais des Beaux-Arts (27 novembre-1er décembre 1930), grâce notamment aux frères Bourgeois et à Henri Storck.
Des CICI première génération, pris dans la tourmente des années 30, il n’y en a eu que deux.
En 1963, Bernard Chardère (fondateur de la revue Positif, et fidèle collaborateur de Jeune Cinéma ), Freddy Buache (Cinémathèque de Lausanne) et Raymond Borde (Cinémathèque de Toulouse) décidèrent de le réanimer en transformant son nom tout en gardant son acronyme. Il devint le Congrès indépendant du cinéma international.
Sur les CiCi, voir Calindex.

2. Cf. "Entretien avec Pierre Prévert (1968)", Jeune Cinéma n°29, mars 1968. Dans les archives de l’INA : Les Compagnons de Baal de Pierre Prévert (1968).

3. Référence à Thérèse Desqueyroux (1962) d’après François Mauriac, Thomas l’imposteur (1965) d’après Jean Cocteau, et La Faute de l’abbé Mouret (1970) d’après Émile Zola.

4. Francis Lacassin, Louis Feuillade, maître des lions et des vampires, Paris, Bordas, 1995.

5. Maurice Champreux (1893-1976), est crédité de 16 films comme réalisateur. Judex 34 est sorti en 1934, c’est un remake du Judex de Louis Feuillade (1916).

6. Patrick Cazals, Musidora-Pierre Louÿs. Une amitié amoureuse, Paris, Éditions du Horla, 2020. Patrick Cazals est également l’auteur de Musidora, la dixième muse, Paris, Veyrier, 1978. En 2013, il a réalisé un documentaire remarquable, homonyme : Musidora, la dixième muse.



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