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Voix d’Aïda (la) (2020)
de Jasmila Zbanic
publié le mercredi 22 septembre 2021

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°410-411, septembre 2021

Sélection officielle de la Mostra de Venise 2020

Sortie le mercredi 22 septembre 2021


 


Inspiré du livre de Hasan Nuhanovic, Under the UN Flag, ainsi que de tous les documents, reportages, articles de presse et témoignages des familles dont les hommes périrent à Srebrenica en juillet 1995, La Voix d’Aïda est une traversée émotionnelle de la guerre. Un premier long métrage, Sarajevo, mon amour, Ours d’or à la Berlinade en 2006, puis Le Choix de Luna en 2010, Les Femmes de Visegrad, Love Island, One Day in Sarajevo en 2014 : les films de Jasmila Zbanic, née à Sarajevo en 1974, ne passent pas inaperçus, toujours confrontés à des sujets universels au fort impact social, politique et humain. La future réalisatrice, âgée de 21 ans lors du massacre de Srebrenica, connut aussi le siège de Sarajevo.


 

En 2014, elle a reçu le prix Kairos, dédié aux artistes européens œuvrant pour l’élargissement de la culture aux peuples opprimés. Artiste plasticienne, ses vidéos sont présentées dans les foires d’art internationales, Biennale d’Istanbul, Kunsthalle de Kassel et au New Museum de New York.
Plus qu’à sa voix, le film s’attache à la présence d’Aida (Jasna Djuric), femme, épouse et mère, qui, se croyant protégée, elle et sa famille, par son employeur l’ONU, se trouve prisonnière d’une terrible guerre. La Voix d’Aida est l’expression d’une urgence à crier sa colère. Colère et cri contre la faiblesse des Casques bleus, composés de troupes néerlandaises impuissantes face aux forces serbes menées par Ratko Mladic (Boris Isakovic) responsable des huit mille morts de Srebrenica.


 

Dans un style très réaliste, Jasmila Zbanic reconstitue les scènes filmées à la base de l’ONU, lieu proche de l’ancien camp de concentration Heliodrom, elle capte l’expressivité des visages des figurants, certains anciens prisonniers, qui amplifie l’extrême tension du récit, alliant angoisse et effroi.


 

Aida développe une énergie incroyable, sans un instant de répit, son anxiété lui donnant une force démesurée. Elle cherche ses deux fils et son mari parmi la foule des réfugiés, tente de les faire entrer à l’intérieur de la base, demande des appuis pour être en sécurité. Dans une tonalité sombre, les individus rassemblés et parqués, les foules immobiles ou mouvantes évoquent d’autres guerres et d’autres films : tri et séparation des populations, déplacements vers l’enfer, visions de cauchemar d’êtres humains envoyés de force vers d’effroyables destinées.


 

Jasmila Zbanic filme les visages en plans rapprochés, comme les regroupements de silhouettes amassés dans les vastes espaces. L’émotion qu’elle transmet vient de son souvenir ineffaçable de Srebrenica. Elle filme Mladic, le "boucher des Balkans" (condamné à perpétuité par le TPI en juin 2021), personnage arrogant et cynique déambulant dans la ville. Avec justesse, elle montre la stratification du pouvoir des forces armées et les responsabilités humaines diluées dans la bureaucratie. Elle développe une atmosphère presque sensorielle, où le ressenti de la guerre et de son horreur sont présents dans la peur et l’obscurité.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°410-411, septembre 2021

* Cf. aussi "L’Humanité et la Voix d’Aïda", Jeune Cinéma en ligne directe.


La Voix d’Aïda (Quo vadis, Aida ?) Réal, sc : Jasmila Zbanic ; ph : Christine Maier ; mont : Jaroslaw Kaminski ; mu : Paul M. Van Brugge. Int : Jasna Duricic, Izudin Bajrovic, Boris Isakovic, Johan Heldenbergh, Raymond Thiry (Bosnie, 2020, 101 mn).



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