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Vecchiali, Paul (livre) II
L’Encinéclopédie (2010)
publié le jeudi 19 janvier 2023

par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°338-339, été 2011

Paul Vecchiali, L’Encinéclopédie. Cinéastes “français” des années 1930 et leur œuvre, Montreuil, Éditions de l’Œil, 2010.


 


Il y a bien quelques décennies que l’on attendait ce grand œuvre, aussi fantomatique que les "20 ans de cinéma français, 1946-1966" du poète et cinéphile Yves Martin qui mirent plus de trente ans à voir le jour (chez Méréal, en 1998). La réaction première est la joie - enfin ! Et la satisfaction de voir notre rayon des ouvrages sur le cinéma hexagonal s’alourdir de ces deux kilos et demi d’érudition, qui viennent tout naturellement prendre place aux côtés de ceux de Raymond Chirat, notre maître à tous, de Yvan Foucart, et de Armel De Lorme, dont les éditions de l’@ide-mémoire annoncent la parution du tome 3 de l’Encyclopédie des longs métrages français de fiction 1929-1979, qui couvrira la moitié de la lettre B - quand saurons-nous tout sur Les Zozos  ? Souhaitons que le noyau des lecteurs attentifs soit suffisamment dur pour que cette tâche cyclopéenne trouve son aboutissement. Il serait trop triste de devoir se contenter de dictionnaires, amoureux ou non, de Godard et consorts. En tout cas, honneur à tous ces bénédictins, dont l’appât du lucre n’est pas ce qui les meut.

Comme Armel De Lorme et son équipe, Paul Vecchiali couvre donc tous les films français parlants, selon un mode alphabétique, non pas des titres, mais des réalisateurs, ce qui lui permet de développer un point de vue "auteuriste", chaque cinéaste ayant travaillé à partir de 1930 étant traité. Le corpus étant circonscrit, l’utilisation de L’Encinéclopédie est plus pratique, dans l’immédiat, que celle de l’Encyclopédie de l’@ide-mémoire, même si dans quinze ans, les deux seront en parallèle - avec un avantage pour la seconde, beaucoup plus détaillée dans l’analyse des films.

Comment lire "le Vecchiali" ?
Comme on doit toujours lire les dictionnaires, en commençant par le début et en terminant par la fin, sous peine, si l’on n’y cherche que des renseignements ponctuels de n’en avoir qu’une vision minuscule : prendre connaissance des 17 pages de la notice Marcel Carné n’a de sens que si l’on lit également les 15 pages consacrées à Maurice de Canonge ou les 10 pages sur Pierre Caron. Se contenter des locomotives n’a pas de sens devant un ouvrage qui joue précisément la carte égalitaire : les plus humbles ont le droit d’exister, pas question de négliger Christian Chamborant ou Jacques Daroy.
Paul Vecchiali, qui a tout vu, à quelques unités près - un des avantages de l’âge -, ne s’autorise aucune impasse, et l’épluchage de Émile Couzinet est aussi soigné que celui de René Clair. Rien à redire sur la méthode. Le cinéma français est un tout, place aux incontestables aussi bien qu’aux oubliés, ceux à qui Claude Beylie & Philippe d’Hugues avaient jadis consacré un ouvrage de référence.

Quelques interrogations cependant.
D’abord le fait que l’auteur soit à la fois juge et partie. Même si n’être devenu réalisateur qu’en 1965 ne fait de lui le contemporain que d’un faible nombre de cinéastes ayant débuté dans les années 30, il fait partie de la maison. Difficile de juger des professionnels qui font le même métier que soi. Il ne s’agit pas seulement d’un problème de confraternité, mais de bon sens : affirmer qu’un réalisateur n’a aucun talent et filme n’importe comment, c’est risquer un retour de manivelle et le conseil de balayer devant sa porte plutôt que de donner des leçons.
Paul Vecchiali a le droit d’écrire que Quai des Orfèvres (1947) ou Les Diaboliques (1955) sont parmi les pires films jamais tournés, son jugement nous semblerait plus pertinent si l’on n’avait pas vu À vot’ bon cœur (2004), Bareback (2006) ou Les Gens d’en bas (2010), pour ne citer que quelques-uns de ses récents titres. Ado Kyrou, lorsqu’il était passé derrière la caméra, avait choisi de ne plus écrire sur les films français, ce qui évitait tout commentaire éventuel autour de la paille et de la poutre dans les yeux des uns et des autres.

Second point qui pose problème, celui du système de cotation des films. L’éventail d’appréciation, qui va de quatre piques (le pire) à quatre cœurs (le meilleur), est une excellente idée, que Paul Vecchiali illustre à l’envi - les 14 cœurs attribués au total à Bernard-Deschamps pour ses quatre titres, par exemple, ne sont que justice : il n’y a plus de "petits" et de "grands" chefs-d’œuvre, mais des chefs-d’œuvre tout courts. Position salutaire, que nous applaudissons de toutes nos mains.
Mais alors, pourquoi écrire en introduction que les "films à quatre cœurs de Pierre Colombier ne sont pas de même valeur artistique que ceux à quatre cœurs de Julien Duvivier" ?
Si les cotations ne sont que relatives, comment s’y reconnaître ? Combien valent les récompenses de l’un et de l’autre : à quoi correspondent les quatre cœurs de Ces messieurs de la Santé (1934) du premier ? Et le simple cœur du Golem (1936), ou le pique de L’Homme du jour (1937) du second ? Interrogation non résolue, au bout des 679 pages (nous n’en sommes qu’à la lettre E) que nous avons dévorées - et qui risque d’être toujours pendante lorsque nous aurons achevé les 1040 pages restantes.

L’ampleur de la tâche de fabrication était telle que l’on ne peut que féliciter les Éditions de lŒil d’avoir osé la mener à bien. Il y avait là de quoi mettre sur le flanc des maisons autrement solides. Il semblerait que le succès du livre soit de nature à ne pas compromettre la bonne marche de cette courageuse entreprise, et c’est tant mieux. Regrettons cependant que l’ouvrage n’ait pas été relu de plus près. Pas tant pour effacer les fautes typographiques fréquentes, espaces, italiques, mots manquants, toutes choses partagées ailleurs (et souvent ici-même) que pour corriger les graphies fautives (Von Stroheim, Benoît-Lévy, Jean-Georges Auriol, etc.) Une relecture qui aurait permis de constater qu’il manquait 124 pages au tome 1 - de André Berthomieu à Luis Buñuel + Paul Fejos et Friedrich Feher -, oubli préjudiciable pour les premiers acheteurs (nous en fûmes), rattrapé ensuite par l’édition séparée d’un tome entier d’addenda, une première dans l’édition de cinéma. Et qui aurait permis également de supprimer certaines erreurs gênantes.

Que Paul Vecchiali joue la carte de la subjectivité, on ne peut que l’en féliciter. C’est le sel de la terre. Il déteste Henri-Georges Clouzot, n’aime pas beaucoup René Clair, chipote sur Christian-Jaque, rien à dire (quoique, dans le cas de ce dernier, l’affirmation que dans Un revenant on ne voie pas la ville de Lyon fasse sourire).
L’essentiel pour nous est qu’il sorte René Barberis ou Michel Bernheim de l’ombre, et réhabilite André Hugon. Mais ne pas aimer Luis Buñuel n’oblige pas à réécrire faussement le scandale de L’Âge d’or (1930). Descendre René Clair de son socle ne contraint pas à faire de Un chapeau de paille d’Italie (1928) son premier long métrage, en oubliant les trois qui l’ont précédé. Ne pas citer, dans les "supervisions techniques" de Henri Decoin, Le Café du Cadran, signé Jean Gehret, dont on sait qu’il ne fut qu’un prête-nom, attribuer au seul Jean Dréville La Bataille de l’eau lourde, coréalisé par Titus Vibe-Muller, faire mourir Mario Camerini en 1951 (au lieu de 1981) et naître Pierre Chenal en 1909 (au lieu de 1904), ce sont là choses agaçantes. Comme est agaçant le fait que ni la durée des films ni leur date de sortie ne soient indiquées. Il suffit, pour les connaître de retourner à Raymond Chirat, Armel De Lorme ou Jean-Claude Sabria, mais c’est dommage.

Prière de ne pas croire que nous tentons là de décourager le lecteur. Les quatre mois que nous venons de passer à éplucher le premier tiers de l’ouvrage ont été une source de plaisir constant, même si certaines notices nous ont fait grimper aux rideaux - bien peu de livres sont capables d’éveiller ainsi autant de réactions roboratives.
S’il n’y avait qu’un seul titre à emporter pour passer l’hiver aux îles Kerguelen, ce serait celui-là. L’Encinéclopédie est une somme nécessaire pour tous les amateurs. On aurait simplement souhaité ne pas devoir en annoter les marges. Nobody’s perfect.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 338-339, été 2011

* Cf. aussi L’Encinéclopédie (2010) par Philippe Roger, Jeune Cinéma n°338-339, été 2011


Paul Vecchiali, L’Encinéclopédie. Cinéastes “français” des années 1930 et leur œuvre, Montreuil, Éditions de l’Œil, 2010, 2 volumes, 884 & 734 p + plus un fascicule, 124 p.


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