Après La Campagne de France (1), documentaire porté à l’affiche en mars 2022, Sylvain Desclous poursuit ses explorations de l’univers politique. Attention, cette fois - et en tout juste un an - on change de ton. Le scénario redistribue les cartes. L’écriture cinématographique s’affranchit des positions de caméra en observation passive pour s’adapter aux chocs d’une narration torturée et explosive.

D’entrée de jeu, focal sur un couple de jeunes étudiants lyonnais, en séjour en Corse pour mieux préparer l’oral du concours d’entrée à l’ENA, dans la villa louée par papa - au top du confort et des canons esthétiques de l’architecture de luxe. Comme Charles Aznavour nous le chantait, on supporte toujours mieux la misère quand on est au soleil. Mais il va y avoir un gros couac dans la romance au cas où on serait sur le point d’oublier que "la vie n’est pas un long fleuve tranquille".

Il faut dire qu’il y avait là aussi, une certaine distorsion des origines sociales chez les deux tourtereaux. Entre un fils de médecin bourgeois, du style morgue de notable déjà établi avant d’avoir eu à faire ses preuves, (Benjamin Laverhne), avec une tante députée en fonction (Emmanuelle Bercot), afin de parfaire le tableau, et la beauté ardente d’une fille issue d’une cellule familiale disloquée (Rebecca Marder) dont le père (Marc Barbé) tient sa niche dans un quartier plébéien, la comparaison est sans souffrance. Cela a au moins le mérite d’être clair.

Seulement la confusion des genres n’a qu’un temps. Tant que tout baigne, c’est l’accord parfait. Quand les obstacles se pointent, on se souvient à la vitesse d’une lumière soudaine du modèle qui ne mélange pas les torchons avec les serviettes. C’est la loi de la hierarchie des castes. Qu’elles soient petites, grandes ou grosses, peu importe le gabarit, le racisme de classe écrase tout ce qui apparaît inférieur à ses yeux.

Mécanique impitoyable : oui. Irréversible : pas sûr, si l’on en croit le cheminement du récit. En dire davantage. Un affront à ne pas faire à la réalisation qui a eu, à plus d’un passage, le courage de s’intéresser à l’économie sociale et solidaire. Il fallait nécessairement une intrigue affriolante pour démultiplier l’impact des idées et systèmes alternatifs, et, très probablement, convaincre les réseaux de distribution. Il faut reconnaître que la cohabitation des motivations fonctionne. Sans doute par une imbrication qui n’est pas dénuée de malice. Difficile de ne pas citer, la participation de l’ancien secrétaire d’État, Thomas Thévenoud, dans le rôle du ministre du Travail. Le résultat est fort. On se plait à croire qu’il laissera des traces.

Laurent Berger-Vachon
Jeune Cinéma en ligne directe

1. La Campagne de France, Jeune Cinéma en ligne directe.

De grandes espérances. Réal : Sylvain Desclous ; sc : S.D. & Pierre-Erwann Guillaume ; ph : Julien Hirsch ; mont : Isabelle Poudevigne ; mu : Florencia Di Concilio ; cost : Élisa Ingrassia. Int : Rebecca Marder, Benjamin Laverhne, Emmanuelle Bercot, Marc Barbé, Bertrand Mandeville, Thomas Thévenoud, Jean-Emmanuel Pagni, Pascal Rénéric (France, 2022, 105 mn).