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Légende du saint buveur (la) (1988)
de Ermanno Olmi
publié le mercredi 26 juillet 2023

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°193, février 1989

Sélection officielle de la Mostra de Venise 1988
Lion d’or

Sorties les mercredis 5 avril 1989 et 26 juillet 2023


 


Lion d’or à la Mostra de Venise 88, le dernier film de Ermanno Olmi marque une rupture dans ses conditions de réalisation mais s’inscrit tout à fait dans la continuité de son œuvre. Pour la première fois, il adapte un texte existant, il utilise des acteurs professionnels connus (en particulier pour le rôle principal), il quitte la Lombardie et l’Italie. Dès les premières images, on est surpris par la différence. Paris sous la pluie, un riche monsieur âgé donne un billet de deux cents francs à un clochard imbibé d’alcool (Rutger Hauer) aux magnifiques yeux bleus. Mais le généreux bienfaiteur fait promettre à Andréas, le clochard, de déposer cette somme un dimanche matin après la messe aux pieds de la statue de sainte Thérèse de Lisieux dans l’église des Batignolles. On pressent que l’on va retrouver le cinéaste chrétien dans ce qui apparaît, dès cette première séquence, comme l’histoire d’une possible rédemption. Au-delà de l’ironie de cette situation de départ, Andréas devient le pécheur choisi pour atteindre la sainteté après avoir subi une série d’épreuves.


 


 

En fait, ces épreuves seront celles d’une conscience hantée par la mission qui lui a été fixée. Pour devenir un saint, le buveur doit passer par la tentation. Ces deux cents francs vont et viennent entre les mains d’Andréas, marque du péché et du salut. En cela, le film de Ermanno Olmi apparaît comme le plus chrétien de son œuvre lorsqu’on en dégage à grands traits la structure. Heureusement, il ne se résume pas à ce message simpliste, il ne se réduit pas à une imagerie pieuse, sauf peut-être dans les dernières images. L’intérêt du film tient tout entier dans l’itinéraire d’Andréas, entre la rencontre fortuite du début et le geste final qui lui vaudra la rédemption. Paradoxalement, et c’est tant mieux pour nous, Ermano Olmi s’attache davantage à montrer les transformations de son personnage au gré de ses rencontres qu’à analyser sa spiritualité.


 


 

Il existe surtout par les rencontres qu’il fait et qui, soit l’écartent de son but, soit l’en rapprochent. Ce sont des inconnus rencontrés dans les cafés qu’il fréquente comme ce vieux tailleur qui l’embauche pour de menus travaux. Ce sont d’anciens amis qu’il retrouve par hasard et qui font ressurgir son passé. On en finit parfois par oublier la mission d’Andréas tant ces moments sont chargés d’humanité. Ce sont autant d’occasion pour lui d’émerger de sa déchéance, de retrouver des aspects de sa personnalité. Ses rechutes dans l’éthylisme renvoient davantage à ses difficultés à renouer avec lui-même qu’aux tentations qui viendraient l’arrêter sur le chemin d’une sainteté dont il n’a pas véritablement conscience.


 


 

La mise en scène de Ermanno Olmi vient renforcer cette profonde humanité du film. Quelques brefs éclairs font ressurgir le passé d’Andréas lorsqu’il était mineur en Silésie. Surtout, il filme un Paris hors du temps et duquel il a éliminé tout ce qui pourrait se rattacher à aujourd’hui. Les cafés, les hôtels, les boutiques, la lumière qui baigne le film dessinent un univers irréel et fascinant. On sait que ce Paris existe, mais on se rend compte en même temps qu’il est une création du cinéaste, tel un décor magique et mystérieux qui correspond tout à fait à l’univers intérieur d’Andréas.


 


 

Plus que le message qu’il porte, La Légende du saint buveur est un film captivant par son héros, par l’itinéraire qu’il suit et par le regard porté sur lui. C’est un regard à la fois ironique - il prend plaisir à suivre cet homme amené malgré lui au salut -, et poétique par le monde visuel qu’il crée autour de lui.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°193, février 1989

* Cf. aussi Ermanno Olmi, Jeune Cinéma n°186, février-mars 1988


La Légende du saint buveur (La leggenda del santo bevitore). Réal : Ermanno Olmi ; sc : E.O. & Tullio d’après la nouvelle de Joseph Roth ; ph : Dante Spinolti ; mont : E.O., Paolo Cottignola & Fabio Olmi ; mu : José Padilla ; cost : Anne-Marie Marchand. Int : Rutger Hauer, Anthony Quayle, Sandrine Dumas, Dominique Pinon, Sophie Segalen, Cécile Paoli (Italie, 1988, 127 mn).



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