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Europa (1991)
de Lars von Trier
publié le mercredi 12 juillet 2023

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°212, janvier-février 1992

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 1991.
Prix du Jury

Sorties les mercredis 13 novembre 1991 et 12 juillet 2023


 


Europa, vu à Cannes, nous avait laissé un goût nauséeux. La représentation du Juif, voleur et faux témoin, à l’allure soumise, la glorification du mouvement néo-nazi, assortie d’images de résistance, le finale où le jeune et naïf Américain, venu "être gentil pour l’Allemagne", provoque un massacre général où tout le monde est plongé dans le même bain, innocence et culpabilité confondue : tout cela relève d’une confusion ou d’une irresponsabilité de qui prend les malheurs et crimes de la guerre comme matériel pour cuisiner un bon polar.


 


 


 

Autre cause de refus : les images vampirisées, citations des grandes œuvres du cinéma utilisées gratuitement, sans cohérence stylistique, simplement pour la belle image et histoire d’évoquer de grandes ombres qui se trouvent désormais compromises dans un film douteux. Un plan, par exemple, fait écho à Metropolis (1) avec des esclaves tirant une énorme machine locomotive, alors que ni la machine, ni les esclaves n’ont de fonction dans le polar.


 


 

Europa, revu, confirme le dégoût. Aux impressions premières s’ajoute le malaise devant l’image de l’Allemagne, tellement conforme aux clichés : ordre, discipline, bêtise bornée, dichotomie entre un peuple larvaire et les maîtres (sans doute encore Metropolis). Confirmation de la virtuosité plastique : la machine qui sort du tunnel filmée frontalement, une maquette de train-jouet qui enchaîne sur une vue aérienne de la ville la nuit ; les visages des figurants hallucinés ; le bain final où tout le monde, mort, flotte dans un fonds fluvial ; beau mais d’une beauté putain qui se montre et se vend.


 

Reste un élément réussi, qui aurait pu soutenir un grand film : quelque chose qui relie cet Europa au beau livre America de Franz Kafka, un America inversé. Comme le jeune héros de Kafka découvre l’Amérique, l’Américain débarque en Europe, avec bonne volonté, gaucherie, naïveté. Tout ce qui le confronte à son oncle, à son travail de garçon des wagons-lits, l’examen pour la titularisation, avec des inspecteurs bizarres, l’opposition des petits rites obligatoires et de la situation catastrophique, tout cela rappelle sans le citer le monde kafkaïen.


 


 

Du coup le visage sans expression du protagoniste, un jeune homme sans caractère, trouve sa fonction. Les sketchs du train, les souliers égarés, l’absence de trait à la craie sur les semelles, l’épreuve de rapidité faite contre la montre pour préparer une couchette, tout cela est drôle, ironique et terrible.


 


 

Malheureusement, ces quelques passages sont étouffés par la prétention à dresser un tableau à la Luchino Visconti d’une grande famille allemande, par une histoire d’amour et de séduction ferroviaires qui louche, sans esprit, du côté des grands films de Alfred Hitchcock.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°212, janvier-février 1992

1. Metropolis de Fritz Lang (1927).


Europa. Réal : Lars von Trier ; sc : L.vT. & Niels Vorsel ; ph : Henning Bendtsen & Edward Klosinski ; mont : Hervé Schneid ; mu : Joachim Holbek ; déc : Henning Bahs ; cost : Manon Rasmussen. Int : Jean-Marc Barr, Bar¬bara Sukova, Udo Kier, Ernst Hugo Jaregard, Eric Mork, Henning Jensen, Max von Sydow, Eddie Constantine (Danemark, 1991, 113 mn).



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