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Iosseliani, Otar (1934-2023)
Brève
publié le mardi 19 décembre 2023

Jeune Cinéma en ligne directe

Journal de Sol Roth 2023 (mardi 19 décembre 2023)


 



Mardi 19 décembre 2023

 

Otar Iosseliani (1934-2023) est mort, avant-hier, dimanche 17 décembre 2023.


 

Il était né à Tbilissi, Géorgie, c’est à dire en URSS à l’époque, et il y est mort. Mais, depuis 1982 (à 48 ans), le Géorgien était naturalisé français et travaillait en France, où il vivait la plupart du temps.
Il avait commencé par des études de musique (piano, composition et direction d’orchestre), et cette formation joue un rôle majeur dans son œuvre. Il parlait volontiers de la construction musicale de ses films : "Je n’ai jamais eu recours à la musique pour illustrer ou transmettre au spectateur les émotions qu’il doit ressentir. La musique est un personnage".
Puis il poursuivit ses études avec les mathématiques et la mécanique à l’Université de Moscou, et bifurqua à l’Institut national de la cinématographie S.A. Guerassimov, où il eut comme professeur Alexandre Dovjenko (1894-1956). Il réalisa deux courts métrages en 1958 et 1959, puis son film d’étude en 1961 : Avril, qui fut immédiatement interdit.

Avril de Otar Iosseliani - Bande-annonce from La Cinémathèque française on Vimeo.


 

Après ce début décourageant, il changea de direction, et fut un moment ouvrier métallurgiste, une expérience dont il tira un documentaire : La Fonte. (Tudzhi, 1964).


 


 

Mais on ne change pas une vocation évidente : dès lors, il ne cesse plus de faire des films, même si, pour chacun, il prend tout son temps, et même s’il est censuré. Il dira, en 2010, à propos de Chantrapas  : "Finalement, j’ai toujours fait tout ce que je voulais en Union soviétique, même si mes films étaient interdits, La Chute des feuilles, et tous mes courts métrages. Si vous étiez interdit, vous étiez aussi quelqu’un à respecter. 120 cinéastes travaillaient pour le régime, puisque le cinéma était un instrument de propagande. Malgré tout, on ne peut pas dire que les censeurs étaient si sévères. Ils interdisaient les films, mais ils respectaient les cinéastes. Ils nous donnaient la possibilité de terminer le film, avant de l’interdire".


 

C’est ainsi que les films interdits traversèrent aisément les frontières pour arriver au Festival de Cannes : en 1967, La Chute des feuilles (Giorgobistve) est sélectionné par la Semaine de la critique. Et en 1974, Il était une fois un merle chanteur (Ko shashvi mgalobeli, 1970), est sélectionné par la Quinzaine des réalisateurs.


 

Mais Otar Iosseliani se lasse de ce jeu de cache-cache avec les autorités, et il va quand même quitter le pays en 1979, après Pastorale. Il rejoint alors la France, le pays de Jacques Tati (1907-1982) qu’il reconnaît comme un sorte de maître, considérant que la musique et le bruit sont les ingrédients essentiels des films. "Quand dans un film tout est compréhensible sans que l’on comprenne la langue, je pense que ça, c’est le cinéma", dit-il. À partir de là, il va réaliser ses films en France, avec pour la musique, le compositeur Nicolas Zourabichvili, qu’il ne quittera plus, parfois avec une distribution complètement géorgienne comme dans Brigands, chapitre VII (1996), ou mixte comme dans Chantrapas (2010), ou avec des acteurs français comme dans Les Favoris de la lune (1984).


 

En France, comme le dit son ami Émile Breton, il reconstitue sa petite Géorgie, d’abord avec les amis français rencontrés en URSS, Pascal Aubier, Bernard Eisenschitz, ou Mathieu Amalric - à qui il offre son tout premier rôle au cinéma -, et les amis d’amis retrouvés à Paris.


 

Georges Sadoul (1904-1967) a eu le temps de voir La Fonte (1964) et il admire le moyen métrage : "Le ton de Otar Iosseliani est personnel et neuf, parce qu’il met l’accent moins sur les forges de Vulcain que sur les hommes qui y travaillent. On retient avant tout les visages, les expressions, les gestes d’hommes guettés par une « caméra-œil » attentive et pleine d’amour vrai".


 


 


 

Marcel Martin (1926-2016) eut plus de temps pour l’accompagner : "Ses films ont été l’une des révélations majeures de la fin des années 60. À côté du cinéma russe particulierement brillant alors, et dans le cadre d’une production géorgienne en plein épanouissement avec Tenguiz Abouladzé (1924-1994) et les frères Gueorgui Chenguelala (1937-2020) et Eldar Chenguelala (né en 1933), ils apportaient un regard neuf, un ton nouveau qui tranchaient sur l’image globale qu’on pouvait se faire du cinéma sovietique de l’époque". (Cf. texte paru à propos d’un hommage rendu par le Festival de La Rochelle en 1989).


 

Émile Breton (né en 1929) enfin, dit qu’avec lui, rien n’est vraiment sérieux : "Avec lui, on est toujours au cinéma". Ses amis, il les fait jouer dans ses films. Il disait, à Venise à propos de La Chasse aux papillons (1992) : "Je me sens un peu comme un chef de troupe qui joue toujours avec les mêmes interprètes. Je prends mes amis parce que je ne fais pas souvent de films et que ça ne leur prend pas trop de temps. Par ailleurs, jouer trop souvent use un acteur, les miens gardent une certaine fraîcheur". Lui-même ne dédaigne pas d’y figurer à partir de 1989, ou même de jouer dans le film de Pascal Aubier, Le Fils de Gascogne (1996) où il joue son propre rôle.


 

Pratiquement tous ses films ont été sélectionnés par des festivals, Venise et Berlin suivent Cannes, mais aussi Locarno, Munich, Tallinn, Lisbonne-Estoril, et, bien entendu Moscou. Son dernier film Chant d’hiver est sorti en 2015, et la dernière rétrospective qui lui a été consacrée a eu lieu il y a 4 ans, à la Cinémathèque française (22 mai-22 juin 2019).


 

Dans son œuvre (22 films entre 1958 et 2015), on boit joyeusement, on chante conformément à la culture populaire de son pays, (minimum à trois voix, et chaque voix suit son dessein), on vagabonde, on pince sans rire, on est toujours élégant. Les spectateurs sortent toujours ragaillardis des projections.


 

Otar Iosseliani disait de ses films : "Ils sont optimistes et, à la fin, ils se terminent mal. Mais tout se termine mal dans la vie".
Il disait aussi, de lui-même, en 1992 : "Ma distinction à moi, c’est entre le bons et les cons".



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