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Malina, Judith (1926-2015)
Une vie, une œuvre
publié le jeudi 16 avril 2015

par Lucien Logette
Jeune Cinéma en ligne directe


 
Many Loves de William Carlos Williams (1959)

Avec Judith Malina, disparue le 10 avril 2015, c’est la dernière figure historique du Living Theatre qui s’en va.

La troupe, qu’elle fonda, dans les années cinquante, avec Julian Beck, son époux, semble devoir continuer, le fils, Garrick Beck, en ayant repris les rênes.

Mais le Living d’aujourd’hui n’est plus celui qu’il était lors de sa découverte, lorsque le film de Adolfas & Jonas Mekas, The Brig, apparut en 1965 sur l’écran du Studio Racine (couplé avec Scorpio Rising de Kenneth Anger).


 

Ou l’année suivante, en 1966, lorsque les Mysteries and Smaller Pieces surgirent sur la scène de l’Odéon.
Barba, Grotowski, le Living, les happenings, Ronconi... le théâtre n’a plus jamais été ce qu’il fut.

Chassée des États-Unis, la troupe du Living, devenue nomade, passait d’un pays à l’autre, en France d’abord, puis en Italie, et partout où l’on acceptait d’accueillir ce cirque ambulant d’histrions inquiétants, avec leurs cheveux longs, leur marmaille et leurs pratiques communautaires redoutables.

L’équipée française s’acheva avec un mémorable Paradise Now, qui secoua le festival d’Avignon en juillet 1968 (1), fut interdit dès la première représentation, et renvoya le Living sur les routes d’Europe, où il continua son never ending tour.


 

Et le cinéma ?

Hormis la captation effectuée par les frères Mekas, une autre captation de Paradise Now, réalisée par Sheldon Rochlin en 1970, et, entre les deux, Who’s Crazy ? de Allan Zion & Tom White (2) et Agonia, le sketch de Bertolucci dans La Contestation (1969), le cinéma ne tint que peu de place dans la trajectoire du Living.

À chaque fois que Beck ou Malina participèrent à un "vrai" film, c’était avant tout pour faire, à la lettre, bouillir les marmites de la troupe, des marmites que les seuls spectacles ne remplissaient guère.

Après le décès de Julian en 1985, Judith se retrouva en première ligne pour assurer les cachets, d’où une accélération de son activité : sur les trente-quatre titres de sa filmographie dressée par IMDB, les deux tiers ont été tournés ces trente dernières années.

C’est Sidney Lumet, découvreur d’acteurs hors pair, qui la persuada de franchir le pas, en lui proposant le rôle de la mère d’Al Pacino dans Une après-midi de chien (Dog Day Afternoon, 1975).

Elle avait jusque-là réservé ses apparitions aux films de ses amis de l’underground.

L’underground new-yorkais avec Jack Smith dans Flaming Creatures (1963) ou avec Ron Rice dans The Queen of Sheba Meets the Atom-Man (1963), où nous pouvons avouer n’avoir pas remarqué sa présence.

Et l’undeground parisien avec Pierre Clementi dans Visa de censure n° X (1967), ou avec Peter Emmanuel Goldman dans Wheel of Ashes (1969).

Avec Lumet, ça devenait sérieux.

L’étonnant - d’autant qu’elle s’en était fort bien sortie -, c’est qu’elle dut attendre 1987 pour qu’une autre occasion se présente.
Cette fois, ce fut Woody Allen, dans Radio Days (1987)
La machine était lancée, qui ne s’arrêterait plus avant qu’un âge raisonnable (elle était née en 1926) n’espace ses passages à l’écran.

Son grand rôle, celui qui la fit connaître d’un large public, fut celui de la grand-mère de Christina Ricci et Jimmy Worksman dans (The Addams Family) de Barry Sonnenfeld (1991). Elle y était tordante, à l’unisson de Anjelica Huston et Raul Julia, tout droit sortie des dessins originaux de Chas Adams.

Mais elle avait également tourné avec Abel Ferrara dans China Girl, (1987) et avec Chantal Akerman dans Histoires d’Amérique (1989).

Elle avait également tâté des séries télévisées, dans des épisodes de Deux flics à Miami, Tribeca ou même Urgences et Les Sopranos - il fallait bien nourrir les siens.

Trop typée - petite taille, longs cheveux noirs, visage à la Giulietta Masina -, elle n’a jamais dépassé les seconds rôles, ce qui convenait parfaitement à son désir : assurer la subsistance de sa troupe et de son théâtre, désormais installés à New York.
Plus de cinéma aurait signifié moins de théâtre. Or, c’est la scène qui avait toujours compté.


 
Judith Malina et George Miller dans Phèdre (1955)

Dans les spectacles du Living, ce n’était pas elle qu’on remarquait.
Parmi les actrices, elle était moins éclatante que Birgit Knabe, Nona Howard ou Petra Vogt.
Mais hors de la scène, lorsque l’on avait la chance de suivre d’assez près la vie de la communauté, les séances de méditation collective, les entraînements physiques, les interrogations théoriques sur les fins et les moyens, et l’organisation pratique du quotidien, on voyait que c’était elle qui s’imposait - et qui en imposait.

Si l’aventure du living a duré aussi longtemps, c’est évidemment grâce à Julian Beck (3), sa vision poétique, ses emportements, son physique de prophète inspiré.


 

C’est aussi parce que l’intelligence et le sens de l’organisation de Judith Malina ont permis à une certaine forme d’utopie de trouver une incarnation, éphémère sans doute, mais réelle.

Ce n’est pas rien. Grâces lui en soient rendues.

Lucien Logette
Jeune Cinéma en ligne directe (avril 2015)

1. Cf. la vidéo de l’INA sur ce 25 juillet 1968, à Avignon.

2. Cf. JC 361-362)

3. En mémoire de Julian Beck (1925-1985), voir la vidéo de ‪Craig Highberger  : Turning the Earth - A Legacy of Cain (17 mai 1975)

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