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Amour et la Révolution (l’) (2018)
de Yannis Youlountas
publié le mercredi 11 avril 2018

par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe

Première projection le dimanche 25 février 2018 à Saint-Étienne


 


Après Ne vivons plus comme des esclaves (2013) où, à Athènes, debout place Syntagma avec mille autres, il mettait en garde la France - "ça peut arriver à tout le monde" - en citant Raoul Vaneigem et Buenaventura Durruti.

Après Je lutte donc je suis (2015), où il accompagnait toutes les résistances et les colères, des plus minuscules aux plus sévères, en Espagne et en Grèce, des indignés jamais résignés.


 

Avec L’amour et la révolution, Yannis Youlountas, tout en retournant vers la Grèce, berceau du monde, berceau d’un autre monde, avance et progresse, imperturbablement, inchangé, "tenace, rebelle, confiant", hors toute propagande, sur son chemin de dérives dans une totale insoumission.
Depuis toujours, il pense, il écrit, il parle, il anime, mais il a compris que les films pour tous, sur toutes les agoras, sans sortie nationale et sans publicité, c’était peut-être ce qui permettait le mieux ce fameux "partage", loué et démonétisé à la fois, à réévaluer en urgence.
La Grèce serait rentrée dans le rang, la preuve, on n’en entend plus parler au JT. Les mauvaises nouvelles du monde sont si nombreuses que même les citoyens les plus avertis se laissent prendre par son supposé silence. Il était temps qu’on lui redonne ses vraies couleurs et le son des porte-voix. "Non rien n’est fini en Grèce".


 

À Athènes, le quartier Exarcheia a été déserté par les résidents craintifs conformistes, les agents publics n’y interviennent plus, les banques ont déménagé. Il est désormais investi par des nouveaux, des optimistes sans bagages, des cigales actives, créatives, inventives, des ex-désespérés ayant retrouvé l’amour de la vie, autogérés avec l’aide d’associations humanistes, avec beaucoup d’enfants, expressifs et vifs, trouvant normal de vivre.


 

Les militants de Rouvanikos, forte organisation anarchiste, défendent l’expérience et colmatent les brèches ici et là. Ils surgissent au Hilton où se réunit le Troïka, aèrent une banque, installent leurs distractions dans le quartier "tenu" par les fascistes d’Aube Dorée, qui les craignent à juste titre : c’est un des rares groupes de cogneurs qui reçoit plus de coups en réponse qu’il n’en donne. Nul n’a oublié les colonels, en Grèce. (1)

À Kastelli, en Crète, le projet de construction d’un aéroport qui impliquerait de dévaster la région en coupant 200 000 oliviers, se heurte à une résistance inspirée. Yannis Youlountas l’accompagne de près, pétitions, images, interventions. (2)


 

Dans les manifestations, dans les témoignages de nouveaux venus enfin un peu sédentarisés, tous tiennent ce discours incontestable de l’autogestion : "On se débrouille, laissez-nous seulement nous débrouiller, on ne réclame que de l’eau et de l’électricité. L’amour, notre carburant, on s’en charge."

L’amour, c’est l’amour des oliviers, de la soupe partagée sur la place Syntagma, des frères d’infortune et de liberté.
La révolution... c’est moins clair : ce serait cette utopie en actes consistant à prendre sa vie en main. Elle aurait déjà commencé, la révolution, avec ces multiples mises en œuvres de petites sociétés alternatives à fédérer, avant même d’avoir repéré les moyens d’abattre le capitalisme.
La question de la violence n’est qu’ébauchée : sait-on bien cibler les ennemis, ceux que les révolutionnaires n’aiment pas ou ceux qui n’aiment pas les révolutionnaires ?


 

On sort meilleur de ce film, ça change de "l’Histoire scientifique", c’est une fenêtre ouverte. "Lutter, c’est être amoureux" affirme une femme dans la superbe lumière du soleil couchant méditerranéen, et on la croit, comme si était venu le temps des poètes militants et marcheurs (3), dont on se dit qu’ils pourraient, dans leur longue patience, la réenchanter et la réanimer, cette révolution tant rêvée.


 

Le film est à but non lucratif, les bénéfices sont reversés aux communes autogérées. Avec lui, Yannis Youlountas fait son "tour de France" de compagnon, en tirant des bords au delà des frontières. (4)
Ce soir-là, au cinéma le Casino d’Antibes, on était nombreux. Dans l’assistance, suintèrent quelques frustrations devant la musique grave et légère, tout de même, on aurait bien pris un peu de Mikis Theodorakis.
Mais le lendemain, on s’est retrouvé à Nice, pour pique niquer devant le Palais de justice, solidaires de Yannis Youlountas et de son vieux pote de Siné Mensuel, Jean-Jacques Rue. (5)


 

Et après, à la fin, on a tous été ensemble à la plage.

Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. La dictature des colonels, en Grèce, a duré de 1967 à 1974.

2. Au Japon, contre l’aéroport de Narita, les paysans ont résisté entre 1968 et 1977 et ont fini par perdre. En France, contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, la ZAD a gagné la première manche. En Grèce, le prochain voyage solidaire en Crète aura lieu en mai 2018.

3. Dans Grèce générale de Samuel Whal & Réjane Trémel (2012), apparaissent, par exemple, Raoul Vaneigem, Yannis Youlountas et Serge Pey.

4. Agenda et lieux des projections.

5. Projection du film le lundi 26 mars 2018, au cinéma Casino d’Antibes.
Comparution de Yannis Youlountas et Jean-Jacques Rue, à Nice, devant le Tribunal correctionnel, le mardi 27 mars 2018, pour une affaire datant de l’été 2017. Des identitaires avaient tenté d’empêcher le sauvetage de migrants par les ONG, l’opération avait échoué face aux mobilisations antifascistes. En retour, les dits individus ont assigné en justice les deux intellectuels, qui s’étaient beaucoup moqués d’eux, pour des mots vexants. Il faut reconnaître qu’être traité de "nazi", c’est insultant.


L’Amour et la révolution. Réal, sc : Yannis Youlountas ; ph, mont : Maud et Yannis Youlountas (France, 2018, 77 mn). Documentaire.



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